Cette
le 29 Août 1914
Mon fils chéri
Tu n’auras pas une lettre tous les
jours ces temps ci et j’en suis toute peinée. C’est que mon temps est bien pris
sais-tu ! Je m’étonnais aussi de n’avoir rien ce matin et me voilà toute
joyeuse ce soir de te savoir tjours en bonne santé et tjours courageux et
vaillant. Que Dieu veuille que tout soit bien.
Ma vie n’est guère intéressante dans
sa monotonie.
Je pars tous les jours à 9 [?] heures pr le Lazaret où je couds jusqu’à six
heures et demie.
Le travail a été terminé et je me
suis réservée cette journée pr rester chez moi et coudre avec Eugénie pr ta
sœur qui est un peu à court de vêtements. On lui fait un plastron avec un gilet
à toi et une pèlerine pr secourir dans la rue sur ces tenues d’infirmière.
Je dois cependant aller à 6 h. donner
du linge propre à mes soldats malades. Tjours pas de blessés. Ns n’en aurons
parait-il que lorsque les troupes algériennes auront fini de débarquer ici. Si
tu savais quel aspect donne à la ville tous ces costumes bigarrés et la
tristesse de ce spectacle à côté de sa beauté ! Que de chair à canons !
Il y a parmi ces demi
sauvages de si belles figures ! des gens brillants d’intelligence.
Hier l’un d’eux, un Marocain s’émerveillait devant la montre de Karine Möller [Karin Möller][1]. Il était monté en tramway et ns avons du
payer pr lui. Il ne savait pas qu’il fallait donner de l’argent et il n’en
avait pas !! A sept heures bien qu’horriblement fatiguée je suis allée
avec Karine jusqu’à la plage les voir camper.
C’était un émerveillement des yeux.
Tous ces jolis petits chevaux harnachés de rouge. Les grands turbans, les grands
manteaux flottants. Ces males figures bronzées, tout cela grouille mais
travaille dur. Moi veux tuer tous Allemands disait l’un.
Grande surprise et agréable surprise Jeudi matin. Un tirailleur Algérien
sonne et demande Mme Médard ! C’était Marcel Pouget. Un brave,
je t’assure. Il a demandé à partir malgré sa situation de contrôleur civil
(Préfet) ou sous-préfet suivant le poste, à Kérouan. Il s’est fait remplacer et
part comme simple soldat à l’émerveillement de ses subordonnées qui marchent à
ses côtés et couchent avec lui sur la paille. Ns l’avons eu à déjeuner
naturellement. Ce soir il n’a pas pu venir mais après le diner il était encore
là et Hugo et Suzie ont voulu l’avoir chez eux pr la nuit.
Le lendemain il devait être des
notres mais sa mère ayant été prévenue de sa présence par dépêche est venue le
voir ainsi que son frère ; elle l’a accompagné hier matin ici et ns ns
sommes faits de tristes adieux. Reviendra-t-il il en doute lui-même car il est
dans un corps qui se donne sans compter. Il est secrétaire du commandant, plus
exposé encore par les ordres à porter !
Je t’écrirai encore demain, je ne te
dis rien de mes sentiments. Comme toi, je vis une autre vie et ce que tu sens
je le sens vivement jusqu’à la souffrance et combien cruelle ! Les journaux
depuis hier remontent mon courage. Mais les morts, les sacrifiés ne reviendront
pas et ils seront légion. Rey-Lescure[2]
est mort laissant six enfants, le fils Lavergne. Rien ne pourra dans les
annales de l’histoire être comparé à cette guerre. Bien bas peut être en lache
je dis au Bon Dieu. Que mon fils ne parte pas.
Tante Anna au contraire demande que
Pierre [Benoît] arrive à temps[3]. C’est une
grandeur d’âme que j’atteinds pas. Je cours au Lazaret et je t’embrasse mon
fils avec la plus grande tendresse Pauvre femme de Pont St Esprit je prie que
son fils lui soit rendu.
As-tu eu la lettre de Loux dans une
des miennes ?
[1] Karine Möller, jeune
Suédoise, dont les parents vivaient à Zürich. L’orthographe
d’origine de son prénom était « Karin ». Sa présence
sera plusieurs fois mentionnée en même temps que d’autres
familles protestantes sétoises (les Pont, les Herrmann, les Auriol).
Une lettre de Mathilde du 7 novembre 1918 nous apprendra à la fois
l’existence et la mort d’un oncle de Karine vivant à Sète.
[2] Paul Rey-Lescure (1871-1915) : cousin par alliance de Mathilde. Il avait en fait été fait prisonnier. Il est mort en captivité le 23 janvier 1915 à Sarrebrück. (Source : Mémorial Gen-Web http://www.memorial-genweb.org/ )
[2] Paul Rey-Lescure (1871-1915) : cousin par alliance de Mathilde. Il avait en fait été fait prisonnier. Il est mort en captivité le 23 janvier 1915 à Sarrebrück. (Source : Mémorial Gen-Web http://www.memorial-genweb.org/ )
[3] Il était
médecin à bord d’un paquebot des Messageries maritimes et résidait en
Australie.