samedi 23 août 2014

Pont-Saint-Esprit, 23 août 1914 – Jean à sa mère

Pont St Esprit Dimanche 23 Aout 1914
Chère maman 
 
            Je profite du passage de Monsieur et Madame Gueillet pour t’adresser encore quelques mots.
            Je suis evidement beaucoup mieux que les premiers jours. D’abord parce que je commence à m’acclimater, ensuite parce que les choses se tassent un peu.
            C’est ainsi que la nourriture est devenue largement suffisante. D’ailleurs j’use largement de tes provisions et de suplement surtout des fruits qui sont ici étonnement bon marché (gros melon pour 2 sous, une livre de raisins pour 4 sous etc).
            Matérielement, je suis aussi bien que possible et je me porte pas mal.
            Moralement je ne suis pas encore trop abruti mais je souffre que les petites préoccupations de chaque jour absorbent toutes mes pensées, mes désirs etc.
            Il est extraordinairement difficile de se receuillir ici et pourtant on en aurait besoin + que jamais.
            Quoique les journées soient longues et les nuits courtes, les heures sont bien remplies, par de petits travaux surtout.
            Hier première petite marche avec sac et fusil. Je m’en suis tiré sans aucune fatigue. Ce matin pour la première fois j’ai fait ma lessive. Les chemises de flanelle sont bien difficiles à laver, et l’eau ds laquelle ns lavons est si crasseuse.
 
Dimanche
Aujourd’hui j’ai peur que ns ne soyons pas libres avant 5 heures du soir.
            Dis à Hugo que j’ai vu et j’ai encore à côté de moi Albert l’employé d’E. Houter[1] qui est venu de Montélimar voir son ami Moutet.
            On fait un chahut terrible autour de moi. La soupe arrive, les gamelles se remplissent, vrai repas de fauves. Je te quitte pour prendre ma part et t’embrasse de tout mon cœur.
 
Jean
24/       Je viens encore de recevoir te lettre du 22. Que tu es chique de me gâter ainsi, même celle de Suzon aussi. Merci. Merci. Continuez, vous ne pouvez croire le plaisir que vs me faites. Les lettres adressées au 55 sont arrivés mais il faut mieux mettre 255 de res. 
 
Baisers

[1] Edouard Houter, le mari d’Annie Busck, une cousine germaine de Jean (fille d’Axel Busck et de Fanny Benoît épouse Busck).