Pont
St Esprit Dimanche 23 Aout 1914
Chère maman
Je profite du passage de Monsieur et
Madame Gueillet pour t’adresser encore quelques mots.
Je suis evidement beaucoup mieux que
les premiers jours. D’abord parce que je commence à m’acclimater, ensuite parce
que les choses se tassent un peu.
C’est ainsi que la nourriture est
devenue largement suffisante. D’ailleurs j’use largement de tes provisions et de
suplement surtout des fruits qui sont ici étonnement bon marché (gros melon
pour 2 sous, une livre de raisins pour 4 sous etc).
Matérielement, je suis aussi bien
que possible et je me porte pas mal.
Moralement je ne suis pas encore
trop abruti mais je souffre que les petites préoccupations de chaque jour
absorbent toutes mes pensées, mes désirs etc.
Il est extraordinairement difficile
de se receuillir ici et pourtant on en aurait besoin + que jamais.
Quoique les journées soient longues
et les nuits courtes, les heures sont bien remplies, par de petits travaux
surtout.
Hier première petite marche avec sac
et fusil. Je m’en suis tiré sans aucune fatigue. Ce matin pour la première fois
j’ai fait ma lessive. Les chemises de flanelle sont bien difficiles à laver, et
l’eau ds laquelle ns lavons est si crasseuse.
Dimanche
Aujourd’hui j’ai peur que ns ne soyons pas libres
avant 5 heures du soir.
Dis à Hugo que j’ai vu et j’ai
encore à côté de moi Albert l’employé d’E. Houter[1]
qui est venu de Montélimar voir son ami Moutet.
On fait un chahut terrible autour de
moi. La soupe arrive, les gamelles se remplissent, vrai repas de fauves. Je te
quitte pour prendre ma part et t’embrasse de tout mon cœur.
Jean
24/ Je viens encore de recevoir te lettre du
22. Que tu es chique de me gâter ainsi, même celle de Suzon aussi. Merci.
Merci. Continuez, vous ne pouvez croire le plaisir que vs me faites. Les
lettres adressées au 55 sont arrivés mais il faut mieux mettre 255 de res.
Baisers
[1] Edouard Houter, le mari d’Annie Busck, une cousine germaine de Jean (fille d’Axel Busck et de Fanny Benoît épouse Busck).