Jeudi
20 Août 1913 [sic
pour 1914]
Ma chère Maman
Mes lettres te
parviennent-elles ? J’en doute. Nous sommes comme separés du reste du
monde, presque sans nouvelle. Un télégramme de sa famille apprend chaque jour à
un type qu’on est sans nouvelles de lui. (Naturellement, je n’ai rien de toi.)
J’écris quand même. Il faut bien que
les lettres finissent par arriver.
Ma vie ici n’est pas encore
monotone. L’instalation et l’acclimatation a été longue et maintenant le
travail fait rapidement passer le temps. Il pleut.
Comme j’en étais sur d’avance, l’experience
ne me donne pas plus de sympathie pour la vie militaire C’est fastidieux et
bête de faire l’exercice pendant des heures de suite. Mais c’est indispensable
pour apprendre à tuer proprement son prochain. Ne crois pas que je devienne
anti-patriote. Le chauvinisme anti-Xtien de Brun [Georges Brun,
fils du pasteur de Sète et condisciple de Jean] me choque autant que l’air blasé embeté indiferent de la plupart de
mes camarades de chambrée. Vraiment le Midi n’est pas patriote. Ils sont tous
tellement absorbés et préoccupés par leur nouveau genre d’existence que tout ce
qui n’est pas eux leur parait étranger. La guerre semble ne les interesser que
pour savoir si ils partiront. Et je t’assure qu’ils ne le desirent pas. Puis il
faut voir comment tous ces types elevés à la douillette (car ils sont presque
tous étudiants) supportent la paille, la gamelle et autres incommodités du regiment.
A ce pt de vue là les camps de vacances sont de rudement bonnes écoles. C’est
tout ce qui m’interesse ici : la vie simple à laquelle ns sommes astreints
et que je supporte facilement.
Tout le monde ns dit que nous ne
partirons pas avant deux mois.
Source : Mémoires des hommes - Morts pour la France |
Le matin tant qu’on fait de la
marche ou de l’exercice dans la campagne, je suis content. Ce qui m’embête
c’est le maniment d’armes aux portes de la ville. Pour me permettre de le
supporter, il me faut bien l’idée que c’est temps de guerre et que ça a une
utilité (Et quelle utilité). En temps de paix je ne m’en serais jamais rendu
compte.
Parmi mes camarades il y a quelques
Cettois (Escafit, Figoli, Jean-Jacques[1])
Montpellerains, gens de l’Aude.
Il y a Moutet un des phénomènes
du camp de vacances de Gourdouze[2]
beaucoup moins phénom. qu’autrefois, en somme le + agréable, celui
avec qui je sors. Il parait que Gueillet est dans les murs, mais je ne l’ai pas
encore vu.
Ns déjeunons à 10 heures. Jusqu’à 5
h ns sommes consignés. Rarement exercice. Le + souvent ns restons sur la paille
à recoudre le bouton de notre capote ou de notre pantalon rouge, à netoyer
notre fusil, à faire notre paquetage, et, quand nous en avons le temps à lire
et à écrire. Après dîner (5 h) c’est l’heure exquise. Je sors seul quand je
puis et je vais me balader dans la campagne jusqu à la nuit. Le long du Rhône,
qui est splendide à Pt-St-Esprit, dans les collines qui sont toutes bleutées,
plantées de cyprès et d’oliviers et qui font penser à de mélancholiques
paysages d’Italie.
Toujours les très belles lignes des
Alpes avec le Ventoux assez proche qui domine tout.
A 9 heures coucher jusqu’à 3 heures
½ ou 4 ½.
Et toi, et vous. Je t’assure que
c’est une des choses les plus pénibles d’être sans nouvelles de tout le monde.
Je t’assure que le premier mot que je recevrai sera accueilli avec joie.
Raconte-moi tout en détail. Je ne crois pas que les lettres se perdent
complètement. Elles finiront toujours par arriver.
Jean-Jacques aussi suporte très
placidement son sort. Il se tire très bien de tout.
Je t’embrasse avec toute mon
affection de fils isolé qui pense souvent au foyer avec mélancholie.
Baisers à Alice, Suzon et Hugo. Donne moi des
nouvelles des membres de la famille si tu en as.
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Adresse :
Jean Médard
jeune
soldat
55
régiment d’infanterie
de réserve (ou 255)
29ème
compagnie
Pont-St-Esprit
(Gard)
[1] Auguste Escafit (1893- ?), matricule 961 et Joseph Figoli (1893-1916), matricule 549. (Source : Archives départementales de l’Hérault en ligne. Registres matricules). Le patronyme de « Jean-Jacques » n’est malheureusement jamais mentionné.