dimanche 31 janvier 2016

Plélo, 31 janvier 1916 – Jean à sa mère

Plélo 31-1-16
            Maman cherie 

            Je dois t’annonce l’évenement que tu redoutes depuis longtemps ; je repars pour le front – Vendredi prochain [5 février 1916].
            Si quelque chose assombrit ce depart pour moi c’est bien la pensée de ta peine ; je sais bien que malgrès tout tu ne vivras pas tant que tu me sentiras en danger, mais je suis sur que tu seras courageuse et forte.
            Vois-tu ma place est au front et rien que là. Je le sens de plus en plus. Et il faut que tu le sentes comme moi. A toutes les raisons qu’ont les Français valides d’être dans les tranchées il s’en ajoute une autre pour les chrétiens : on ne peut pas ne pas prendre sa part active des souffrances, du danger et des sacrifices et rester dans le bien être alors que les autres se font tuer.
            J’ai appris la nouvelle cet après-midi à l’exercice. Je pars pour le 132me, avec La Morinerie et probablement d’autres chefs de section. Ce n’est pas que mon regiment ait trinqué ces temps-ci, mais parce que plusieurs officiers ont été affectés à d’autres regiments. Le 132e occupe actuellement, je crois, les tranchées faisant face à l’Epine de Védégrange, en Champagne, ds la region ouest de la grande offense. Le secteur serait assez calme.
            Absolument impossible de venir jusqu’à Cette. Il faut en prendre son parti. Nous n’aurions peut-être pas su jouir de ces quelques heures de revoir avant la separation.
            Je pourrai peut-être aller jusqu’à Paris. J’en viens, mais je ne resiste pas au plaisir d’y retourner. Tu comprendras cela.
            Plutôt que la solitude et l’inaction ici, me replonger avant le depart dans cette atmosphère de communion fraternelle sera une vraie force.
            A cause de cette fugue et pour ne pas partir sans un sou en poche je t’envoi en même temps que cette lettre un telegramme pour te demander de l’argent. C’est la dernière fois, j’espère. Au front les occasions manquent de depenser sa solde.
            Hier à Paris j’ai revu quelques minutes Dussauze, de la rue Vigée-Lebrun, Raoul de Seynes, que j’ai rencontré sous l’arc de triomphe et avec qui je suis allé au culte à L’Etoile, où j’ai entendu Boissonnas. Raoul, grand et gros, j’ai eu de la peine à le reconnaître. J’ai dejeuné chez Mlle Viguier, toujours épatante, une vraie amie. Malheureusement sa santé est très ébranlée. Elle ne sait pas se ménager, et vient le moment où  tout craque. Le soir au cercle j’ai revu Robert Pont, [Alexandre] de Faye, Samuel Bost, etc, etc.
            Je te quitte pour me coucher. Je tombe de sommeil ayant passé la nuit derniere en wagon.
            Je t’envoie toute ma tendresse et tout mon amour. 

Jean

Jusqu’à nouvel ordre écris-moi ici. Pourtant tu peux tenter de m’envoyer quelques cartes aux 132e SP 33. Je serai sur le front Dimanche ou Lundi.                                     T.S.V.P.
             A Paris je ferai les quelques rares achats qu’il me reste à faire.