mercredi 3 mai 2017

Sète, 3 mai 1917 – Mathilde à son fils

Cette le 3/5 1917

            Hier soir ta lettre du 28, mon grand chéri, suivant sans interruption celle du 25 ; entre temps je suppose que tu m’as dit ton retour à la 5ème et peut être aurai-je aujourd’hui celle là. C’est curieux l’inégalité de ces courriers. Cette dernière a mis quatre jours seulement ; elle me fait sentir ou pressentir la peine que tu portes et je la porte avec toi. Ah c’est maintenant que je voudrais pouvoir venir te faire une petite visite et essayer de te réchauffer le cœur par mon amour si grand. Comme je voudrais te sentir encore à l’Etat Major. Je ne puis comprendre pourquoi tu n’y es pas demeuré.
            Une grande chance que cette rencontre avec le cousin des Corteel. J’espère que sa nomination est stable et que tu vas sentir une sympathie à tes côtés.
            J’ai quitté ma couture tout de suite pour courir chez Mme Corteel [née Andrée Bertin]. Le soir monsieur [Paul Corteel] est venu une minute. J’ai pu ainsi lui annoncer cette joie. Ils en sont très heureux… mais je ne sais s’ils l’apprécient énormément. Madame surtout l’aime beaucoup c’est comme un frère pr elle, mais m’a-t-elle dit son mari ne sympathise pas très fort car ils sont très différents. Mr [Paul] Corteel étant la modestie même or Mr Fauveau ce n’est pas ça. Il a perdu sa mère [née Bertin] très jeune et a été élevé par des domestiques, son père ayant éloigné l’influence de ses oncle et tante Bertin. Il est parait-il foncièrement bon et serviable avec excès même et sera un chef excellent pour ses hommes. Au point de vue religieux, il ne croit à rien, au point de vue intellectuel je ne sais. Les Corteel doivent lui écrire aujourd’hui et paraissent très heureux pourtant de cette étonnante rencontre. Que le monde est petit.
            Ne laisse pas trainer ma lettre, déchire-là.
            Il pleut à torrents depuis hier et tu n’es surement pas sans pluie et rien pour t’en garantir. Fais vite venir un caoutchouc où je t’en envoie un tout de suite, mais il faut que j’aille pour cela à Montpellier. Alors avise moi le plus vite possible.
            Hier visite de Mme Néri [Jeanne Jalabert, épouse Julien]. Que ces gens sont tranquilles ; la guerre passe sur eux sans rien bouleverser, ils n’en mangent pas un bon morceau de moins. Il est sur que Monsieur [Néri Julien, Néri étant le prénom et Julien le patronyme] est bien atteint mais il est d’âge c’est dans l’ordre des choses. Ils sont heureux, je souffrirais pourtant à leur place.
            Cette dernière offensive nous coûte gros je crois. Je ne sais si à ce compte là on pourra renouveler encore souvent et si… mais je m’arrête, inutile d’ergoter là-dessus et je ne dois pas t’enlever du courage, il le faut tout. J’en ai besoin aussi.
            Ne dis pas que tes lettres sont stupides : chaque mot vaut de l’or pour moi. Tu ne pas dire plus, je lis, je relis, j’embrasse, je bénis. Dans une longue étreinte je te quitte mon fils adoré. 

Ta mère bien près de toi. 

            Toujours rien de Lalouette, j’ai bien peur.