Cette le 3/5 1917
Hier soir ta lettre du 28, mon grand
chéri, suivant sans interruption celle du 25 ; entre temps je suppose que
tu m’as dit ton retour à la 5ème et peut être aurai-je aujourd’hui
celle là. C’est curieux l’inégalité de ces courriers. Cette dernière a mis
quatre jours seulement ; elle me fait sentir ou pressentir la peine que tu
portes et je la porte avec toi. Ah c’est maintenant que je voudrais pouvoir
venir te faire une petite visite et essayer de te réchauffer le cœur par mon
amour si grand. Comme je voudrais te sentir encore à l’Etat Major. Je ne puis
comprendre pourquoi tu n’y es pas demeuré.
Une grande chance que cette
rencontre avec le cousin des Corteel. J’espère que sa nomination est stable et
que tu vas sentir une sympathie à tes côtés.
J’ai quitté ma couture tout de suite
pour courir chez Mme Corteel [née Andrée Bertin]. Le soir monsieur [Paul
Corteel] est venu une minute. J’ai pu ainsi lui annoncer cette joie. Ils en
sont très heureux… mais je ne sais s’ils l’apprécient énormément. Madame
surtout l’aime beaucoup c’est comme un frère pr elle, mais m’a-t-elle dit son
mari ne sympathise pas très fort car ils sont très différents. Mr [Paul]
Corteel étant la modestie même or Mr Fauveau ce n’est pas ça. Il a
perdu sa mère [née Bertin] très jeune et a été élevé par des domestiques, son
père ayant éloigné l’influence de ses oncle et tante Bertin. Il est parait-il
foncièrement bon et serviable avec excès même et sera un chef excellent pour
ses hommes. Au point de vue religieux, il ne croit à rien, au point de vue
intellectuel je ne sais. Les Corteel doivent lui écrire aujourd’hui et
paraissent très heureux pourtant de cette étonnante rencontre. Que le monde est
petit.
Ne laisse pas trainer ma lettre,
déchire-là.
Il pleut à torrents depuis hier et
tu n’es surement pas sans pluie et rien pour t’en garantir. Fais vite venir un
caoutchouc où je t’en envoie un tout de suite, mais il faut que j’aille pour
cela à Montpellier. Alors avise moi le plus vite possible.
Hier visite de Mme Néri [Jeanne Jalabert, épouse Julien].
Que ces gens sont tranquilles ; la guerre passe sur eux sans rien
bouleverser, ils n’en mangent pas un bon morceau de moins. Il est sur que
Monsieur [Néri Julien, Néri étant le prénom et Julien le patronyme] est bien atteint mais il est d’âge c’est dans l’ordre des choses. Ils
sont heureux, je souffrirais pourtant à leur place.
Cette dernière offensive nous coûte
gros je crois. Je ne sais si à ce compte là on pourra renouveler encore souvent
et si… mais je m’arrête, inutile d’ergoter là-dessus et je ne dois pas
t’enlever du courage, il le faut tout. J’en ai besoin aussi.
Ne dis pas que tes lettres sont
stupides : chaque mot vaut de l’or pour moi. Tu ne pas dire plus, je lis,
je relis, j’embrasse, je bénis. Dans une longue étreinte je te quitte mon fils
adoré.
Ta mère bien près de toi.
Toujours rien de Lalouette, j’ai
bien peur.