mercredi 30 septembre 2015

Automne 1915 – Mort de Pierre Benoît

Pierre Benoît

Pierre devait mourir à son tour un mois plus tard dans un hôpital de Gérardmer, où sa mère et ses sœurs étaient venues le rejoindre. La mort de ces deux cousins [Pierre Benoît et Maurice Beau], auxquels j’étais très attaché, celle de tant d’autres, le souvenir des heures très dures passées aux Eparges et à l’hôpital, tout cela pèse sur moi. J’aime la vie et je vais avoir à affronter de nouveau les menaces précises et renouvelées de la mort. Pourtant je ne supporterai pas longtemps la vie de l’arrière, où l’on ne parle décidemment pas le même langage  que nous, où l’on ne comprend pas, où l’on s’installe dans l’existence comme s’il n’y avait pas la guerre. Je relis souvent Job dont les protestations et les questions angoissées correspondent assez bien à mon état spirituel.  

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)

jeudi 24 septembre 2015

Gérardmer, 24 septembre 1915 – Anna Benoît à Mathilde

Gérardmer, le 24/9

Ma chérie, je pense qu’il te tarde d’avoir des nouvelles de l’opération de notre chéri [son fils Pierre Benoît, cousin germain de Jean] et n’ayant pu le faire hier soir, je le fais vite aujourd’hui. Ns avons passé 2 heures d’angoisse bien grande, on est venu prendre notre pauvre garçon après 11 h. et on ne l’a rapporté qu’à 1 h moins le ¼ ; ce qui fait que cela a été si long, c’est qu’on l’a platré, qu’une première fois c’était trop petit et qu’il a fallu recommencer et laisser sécher ; ms ns qui ne le savions pas, c’était bien long !! On a drainé l’abcès inter osseux ce qui explique la hausse de température et c’était urgent de faire cette opération ! cela suffira-t-il ? les majors ne peuvent encore se prononcer : oh cette attente et cette angoisse, quand Dieu permettra-t-Il qu’elle soit écarté ! Le pauvre a atrocement souffert pdt 2 heures et puis les gémissements ont cessé, les crampes aussi et la nuit a été calme grâce à une piqure de morphine. C’est Laure [la sœur de Pierre] qui l’a veillé, elle le veille encore ce soir et ils en sont tous deux bien heureux.
Aujourd’hui il est assommé par tout l’éther qu’il a absorbé, bcp plus que hier aussi le pauvre n’a pas de la joie qu’il aurait eu s’il avait été mieux ; ce soir à 5 h, le colonnel est venu le décorer à nouveau et lui apporter la croix de la légion d’honneur et une autre avec palme. Il l’a lui épinglé sur la poitrine et l’a embrassé en lui disant que cette croix si glorieusement gagnée aiderait à le remettre bien vite. Jamais je crois ns ne saurons tout ce qu’il a fait notre Gros [?], il ne ns avait même pas dit qu’il avait eu 2 citations à la brigade et 2 à l’armée. Ses amis disent qu’il a été admirable de courage et de dévouement, jusqu’à prendre à des moments très durs le commandement de sections privées de leur chef. Et maintenant après cette vie si active, si belle, le voilà cloué pr des mois peut être ds son lit ; mais si je le plains le pauvre de toute mon âme, je bénis Dieu de me l’avoir ramené, et je Lui demande ardemment de permettre que tout aille bien maintenant. C’est la température qui va de nouveau être notre angoisse journalière, ah ! si elle pouvait baisser ; quelle reconnaissance et quelles prières d’actions de grâce je ferai monter vers Celui qui peut tout ! Tu seras bien gentille de faire passer cette lettre à Jenny[1], quand j’écris à l’une c’est pr les deux. Ds 2 jours je lui écrirai à elle ; embrasse la bien pour moi.
Tu sais par expérience ce que c’est que cette correspondance, de tous côtés on m’écrit et je veux répondre un peu à tout le monde. Laure m’aide bien, ms ns ne laissons jamais Pierre seul. J’espère le pauvre arrivera à dormir cette nuit, depuis 20 jours il n’a pu ainsi dire par dormir et depuis son opération pas du tout. Oh ! comme son père serait heureux et comme je le plains en ce moment encore plus, alors qu’il ferait si bon être réunis ! ms Dieu permet peut-être que nos bien-aimés partagent nos joies !
J’espère que tu vas bien et tous les chers tiens aussi ; si vous lui écrivez à notre Grand vs pouvez parler de son opération, ms ne faites aucune allusion à ce que l’on peut craindre encore. Je te laisse maintenant, j’ajouterai un mot demain pr donner des nouvelles de la nuit.
Chaudes tendresses à vous tous

Ta vieille Anna

[1] Jenny Scheydt (1862-1943), née Roux mais dont la mère était Fanny Leenhardt, une cousine germaine de Mathilde.

vendredi 4 septembre 2015

Gérardmer, 4 septembre 1915 – Pierre Benoît à Jean

4 sept 1915
 
Mon cher Jean 

Me voici a mon tour au fond d’un lit avec un eclat d’obus dans le genou. Cela m’est arrivé au Linge il y a 4 jours. On m’a operé avant-hier et j’ai depuis lors la jambe dans une gouttiere. J’espère que tout marchera bien mais je ne me dissimule pas qu’il y a de grandes chances pour que je garde de la raideur de la jambe.
J’ai une mauvaise nouvelle à t’apprendre c’est la mort de [Jacques] Benoit aspirant au 12e  qui a été tué dans sa tranchée  il ete de l’A de Lyon et m'avait dit avoir ete avec toi au camp de vacances un chic type qui disparait. Je suis à l’hotel du Lac à Gérardmer.
Bien des choses à tous les tiens.
à toi
Pierre 

[Pierre Benoît était un cousin germain de Jean, fils de sa tante Anna (dont le nom revient relativement souvent sous la plume de Mathilde, car elle habitait également Sète). Dans le civil, Pierre Benoît était médecin dans la marine marchande.]

mercredi 2 septembre 2015

Début septembre 1915 – Vie et mort


            Ces belles journées de convalescence et de vie familiale sont assombries par de tristes nouvelles : celle de la mort de Maurice Beau aux Dardanelles, celle de la blessure de Pierre Benoît dans les Vosges au début de Septembre.  

(Mémoires – 3ème partie : La guerre, 1970)


Maurice Beau, tué aux Dardanelles
[Légende de Jean Médard]

 

mardi 1 septembre 2015

Début septembre 1915 – Baptême d’Elna


Avant mon départ, nous pouvons baptiser la petite Elna.
Alice Herrmann et moi sommes parrain et marraine du bébé. Bonne occasion de se revoir. Maman m’a raconté qu’elle versait des larmes il y a quelques mois au récit de mes infortunes. Je ne lui suis donc pas indifférent. Sur une photo où le parrain et la marraine tiennent le bébé dans leurs bras nous faisons déjà figure de jeune ménage avec leur premier né.   

(Mémoires – 3ème partie : La guerre, 1970)
 
Jean Médard, Alice Herrmann, Elna Ekelund. Septembre 1915.