mardi 30 août 2016

Romigny, 30 août 1916 – Jean à sa mère

30/8/16
            Maman chérie, 

            Ce matin nous avons manœuvré toute la matinée ds la boue et sous la pluie. Maintenant il pleut lamentablement et l’on se sent particulièrement bien dans sa chambre. Le mois d’Aout par ici n’aura pas été estival. Je vous plainds si à Lacaune vous n’avez pas plus beau que ça.
            J’ai reçu ce matin un mot de J. [Jean] Lichtenstein qui se repose à la Salvetat. Je ne crois pas qu’il soit ces temps-ci en très brillant état.
            Une carte de Mlle [Léo] Viguier aussi ; autrement nouvelles de personne depuis pas mal de temps.
            Na est-elle toujours aussi terrible ? et Suzon aussi forte au tennis ? et les Julien aussi hospitaliers ?
            J’ai repris depuis quelques jours ma section, celle que j’avais à Verdun. J’en suis assez heureux bien qu’elle soit bien transformée depuis, mais quelques uns des elements nouveaux ne sont pas mauvais.
            Je continue à vivre par le cœur auprès de vous et vous embrasse tendrement. 

Jean

 

lundi 29 août 2016

Romigny, 29 août 1916 – Jean à sa mère

29/8/16
            Maman cherie, 

            Je reçois rapidement ta bonne lettre du 29 [sic]. Je suis très fier de voir Suzon en demi-finales de tennis. Je suis sur que si elle s’entraine elle fera mieux encore. Mes felicitations. Quant à sa fille je pense qu’elle concoura plus tard pour les concours de gloutonnerie, puisque rien ne lui suffit plus.
            Je suis sur que vous jouirez beaucoup de la visite de tante Olga [Winberg].
            Après ce sera un peu plus triste lorsque Suzon sera partie ; mais Lacaune n’est pas un « petit trou », tu auras de bons amis comme les Julien, et je suis sur que le petit chou à lui tout seul te suffirai.
            N’est-ce pas que les photos de Gétaz sont bien. Les camarades avec qui je suis devant la batisse sont les aspirants et adjudants qui étaient avec moi au peloton divisionnaire à Bazincourt, au moment où j’ai été nommé s/lieut. Tout ça me semble plus precieux et + vivant que n’importe quelle photo de spécialiste.
Tendrement 

Jean 

            T’ai-je dis que Baudin est parti en permission. Et avec quel enthousiasme…

samedi 27 août 2016

Romigny, 27 août 1916 – Jean à sa mère

27/8/16
            Maman cherie, 

            Je crois ne pas t’avoir écrit depuis deux jours. C’est honteux.
            Pourtant rien de nouveau dans ma vie. Toujours exercice, popote etc.
            Le capitaine Baudin est parti avant-hier en permission. Le commandant est toujours le même homme sympathique et brillant. Mon Cdt de Cie et Millière sont toujours aussi ternes. Un nouveau s/lieut venait d’être nommé à la 5ème. Lui au contraire tout à fait agreable camarade, intelligent, instruit, bien elevé, et, ce qui importe plus que tout un homme à vie interieure, religieux même, et d’ailleurs protestant. Arlès-Dufour. Malheureusement il ne reste pas à la Cie. Il est remplacé par un jeune s/lieut qui rentre de convalescence, qui est très gentil, mais qui ne le vaut pas Deconinck.
            Aujourd’hui Dimanche j’ai ma journée à moi ; je vais écrire et penser à vous tous.
            Linpens[1] et Gauchy sont rentrés de permission. Je partage ma chambre avec Combemale. Notre colonel est très sympathique.
            Je vous embrasse toutes trois de tout mon cœur. 

Jean 

            Amitiés aux Julien à tous ceux qui sont + ou – mélés à votre vie et que je connais.

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[1] Dans les sept lettres où Linpens est mentionné, (de celle-ci à une lettre du 5 juillet 1917) Jean orthographie toujours "Limpens". Il s'agit en fait de Lucien Arthur Linpens (1891-1944), retrouvé grâce aux recherches de Christian Limpens que je remercie vivement pour tous les documents qu'il m'a communiqués. 

jeudi 25 août 2016

Romigny, 25 août 1916 – Jean à sa mère

25/8/16
            Maman cherie, 

            Inutile de te donner des details sur notre vie toujours la même. Exercice, chaleur. Commandant de Cie très supportable. Aujourd’hui G. et Soula sont venus déjeuner avec nous. Depuis mon arrivée ici je reçois très regulièrement tes lettres. Que ça dure. Carte du docteur Bourgeaud qui promet de nous revenir. Longue et intéressante lettre de [Daniel] Loux. Très affectueuse lettre de tante Anna. Je ne cesse de penser à vous, au petit chou à Suzon et vous envoies mes meilleures tendresses. 

Jean

lundi 22 août 2016

Romigny, 22 août 1916 – Jean à sa mère

22/8/16
            Maman cherie, 

            Rien de nouveau. Vie très remplie par l’exercice, comme toujours. Par-dessus le marché je fais beaucoup de cheval. Hier avec le capitaine Baudin nous avons fait près de 30 km, aujourd’hui nous avons recommencé et j’avoue que je puis à peine m’asseoir. La plus franche gaité règne toujours à la popote mais je regrette Bourgeaud, son successeur ne le vaut pas : un gros homme un peu vulgaire.
            Colonel charmant. Ces messieurs se mettent aux cartes ; je compte bien n être pas forcé de m’y mettre et pouvoir consacrer ce temps à la correspondance qui a tellement souffert depuis notre revoir.
Tendrement 

Jean

samedi 20 août 2016

Romigny, 20 août 1916 – Jean à sa mère

Dimanche 20/8/16
            Maman cherie, 

            Me voici arrivé à destination. C’est bien où je pensais[1]. C’est moins bien que la vallée de la Marne, mais ce n’est pas mal. Je reprends depuis le début.
            Aucun incident. Jusqu’à Toulouse, train-tortue. A partir de Toulouse, sommeil jusqu’à Vierzon. A Paris j’ai dejeuné ds un Duval, je suis allé à la gare de l’Est me renseigner sur les departs de trains.
            J’ai acheté chaussettes, ciseaux, sifflet, piles, pince manchettes etc.
            Je suis allé Bld du Temple voir la famille d’un de mes poilus tués à Verdun[2]. Je croyais tomber chez des humbles et je me suis trouvé dans une maison luxueuse.
            Une mère effondrée et une jeune sœur. J’ai donné quelques details.
 
           En sortant je me sentais un peu malheureux et très seul. A tout hasard je suis allé à la fac. ne serait-ce que pour revoir les murs. J’ai revu non seulement les murs, mais Mme  [Suzanne] Monnier qui n’est pas encore partie. Du coup j’ai été rassérené. Nous avons longuement bavardé autour d’une tasse de thé. Rue de Trévise, un peu plus tard, j’ai appris que [Jean] Beigbeder était à Paris. C’était tard. Je me suis précipité chez lui en taxi. Nouveau bavardage. Diner à la fac. en tête à tête avec MmeMonnier toujours charmante.
            J’ai couché à l’hotel de Trévise d’où je suis parti ce matin. Voyage banal.
            Arrivé ici à la fin du repas. Chaud acceuil. G. n’est plus là. Il commande une Cie divisionnaire : une embuscade.
            Maintenant je m’installe.
            Quelques photos prises par Gétaz peu avant notre revoir Elles sont amusantes.
            C’est Mme Gétaz qui a les clichés.
Bon courage et tendrement 

Jean


[1] Dans son courrier précédent, expédié de  Paris, Jean parlait de Ville-en-Tardenois, commune limitrophe de Romigny.
[2] Pol Savers. 9 boulevard du Temple.

Août 1916 – De retour au 132ème R.I.


                Je retrouve mon régiment le 20 [août] à Romigny au nord de la vallée de la Marne. Les beaux jours sont finis. Le cantonnement est beaucoup moins agréable et nous sommes entrés dans une période de manœuvres intensives.  

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)

Source : Mémoire des hommes - JMO du 132ème R.I. - 10 août 1916
 

Paris, 20 août 1916 – Jean à sa mère

Dimanche matin [cachet de la poste du 20 août 1916]
            Maman cherie, 

            Je quitte Paris après y avoir passé une demie-journée et une nuit. J’ai eu la chance d’y rencontrer Mme [Suzanne] Monnier avec qui j’ai diné hier soir, et aussi [Jean] Beigbeder.
            Le voyage jusqu’ici s’est aussi passé sans encombre. Acheté un panier à Castres, dormi de Toulouse jusqu’à Paris. Et maintenant je vais reprendre le travail. Je vais presque surement à Ville en Tardenois. Je ne cesse de penser à vous trois, je vous suis à chaque heure et vous embrasse toutes trois avec ma grande tendresse. 

J. Médard

dimanche 14 août 2016

Août 1916 – Permission en famille


C’est à Lacaune, où nous sommes allés rejoindre ma sœur et la petite Elna que s’achève cette permission. Les séparations laissent toujours ma mère bouleversée et elles sont assez pénibles.

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)

mardi 9 août 2016

Août 1916 – Départ en permission


            La véritable permission arrive enfin, plus tôt que je ne l’espérais. Le 9 août ma mère me précède de quelques heures à Paris et nous partons ensemble pour le Midi. Je suis bien heureux de me replonger dans la vie civile, mais toujours étonné de voir les civils si confortablement installés dans la guerre. Ils sont certes pleins de considération pour nos exploits et de compassion pour nos misères, mais incapables de prendre conscience du drame qui se joue et de rien changer à leurs petites habitudes de vivre et de penser.  

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)

dimanche 7 août 2016

Chartèves, 7 août 1916 – Jean à son beau-frère Hugo Ekelund

7-8-1916
            Mon cher Hugo, 

            Ça va toujours. Nous menons la vie la plus douce qu’on puisse rever. Il n’est pas impossible que nous arrivions ensemble à Cette très prochainement. Il m’en tarde ; ce n’est pas la chaleur qui nous ferait peur. Nous venons de recevoir une bonne lettre de Suzon.
            Elle doit se sentir un peu seule. Ne monteras-tu pas à Lacaune avec nous ?
            Amitiés à Alice.
            Très affectueusement à toi 

Jean 

            [De la main de Mathilde]
            Bien sincère amitié. Je serai à Cette ou seule ou avec Jean Jeudi [10 août] matin a onze heures au plus tard.

lundi 1 août 2016

Août 1916 – Mathilde chef de popote


La moindre permission ferait bien mieux mon affaire. Comme mon tour parait encore lointain, je propose à ma mère de venir me rejoindre. C’est aventureux, car nous risquons d’être partis lorsqu’elle arrivera. C’est irrégulier car je n’ai pas le droit de lui faire savoir où je suis et elle n’a pas le droit de pénétrer sans autorisation dans la zone des armées. Qui ne risque rien n’a rien.
Ma mère, aguerrie par son expédition à Verdun, est prête à  tout entreprendre pour me revoir. Elle débarque quelques jours plus tard à Mezy, de l’autre côté de la Marne, me fait avertir et je lui fais traverser le pont qui marque la limite de la zone. Je l’installe dans la maison que j’habite moi-même et où mon hôtesse lui a réservé une chambre. Nous étions séparés depuis sept ou huit mois.
Tout d’abord sa présence est clandestine, pas longtemps. Mon commandant, prévenu, loin de se fâcher ou même de fermer les yeux, me félicite de mon initiative et l’invite à partager nos repas. La voilà devenue chef de notre popote. Elle va connaître maintenant beaucoup de mes camarades. Sa grâce la rend sympathique à tous.
Le capitaine Baudin nous raconte quelques jours plus tard que, voyant le succès de ma manœuvre, il avait essayé de faire venir sa femme. Malheureusement pour lui, étant ancien agent du 2ème Bureau, sa correspondance était rigoureusement soumise à la censure et il n’a réussi qu’à se faire taper sur les doigts. Pour moi ces quinze jours passés près de ma mère sont déjà presque une permission, car on ne nous accable pas de service et d’exercice. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)