lundi 23 février 2015

Avignon, 23 et 25 février 1915 – Jean à sa mère

Avignon 23 Fevrier 1915
            Maman cherie 

            J’ai reçu ce matin ta bonne longue lettre. Pour moi rien de très nouveau.
            Jeudi soir comme je te l’avais dit je suis allé diner avec le sergent Jauffre chez les King. Mme est veuve. Il se trouve qu’elle est cousine de bon papa par les Kleber, c’est en tout cas elle qui le prétend. Elle est aussi cousine germaine de Jules Binet[1] et revenait d’Annonay où elle a une propriété. Elle est charmante, toute blanche avec une figure assez jeune, recevant avec la plus grande simplicité. La famille comprend outre une grosse gouvernante, un fils de 19 qui n’était pas la étant incorporé dans la Drome (classe 15), un autre fils plus jeune (celui qui m’a invité) une jeune fille qui travaille à la Croix rouge à Avignon, et 3 ou 4 petites filles. Tout ce monde là très gentil. Le soir ns rentrons en tramway  sa propriété étant au moins à 5 kil. d’Avignon. Intérieur très agréable, luxueux avec sobriété. De la propriété je n’ai rien vu à cause de la nuit.
            Samedi marche de 20 kil chemin très boueux. 

Mercredi 25 

            Dimanche comme toujours culte à 10 h ½. Dejeuner en toute intimité chez les Rey. Thé chez les Donarel. Diner chez les Autrand. Je suis aussi à mon aise chez les uns que chez les autres.
            Tous les soirs je vais voir Cahier qui est assez malade. Il va mieux et semble recevoir ses visites avec plaisir. Sa mère était à Avignon lorsqu’il est tombé malade ds la chambre même qu’elle avait louée. Il est ainsi presque soigné chez lui.
            Cette semaine nouveau depart dont je ne suis pas à mon grand étonnement.
            Ce matin fausse alerte. Quand je suis rentré de l’exercice je me suis vu designé comme chef de sections d’un regiment de territoriaux affectés au camp retranché de Paris.
            Tu vois mon ahurissement d’ici.
            Il y a eu contrordre ds le courant de la matinée ; une nouvelle depeche du ministre mettant notre depart sous sa seule autorité.
            Le lieutenant est de nouveau revenu et ma responsabilité par consequent moins grande. J’ai la gorge un peu prise depuis quelques jours, mais sans maux de tête, ce n’est pas un mal à gorge.
            Toujours content de mes bleux. J’ai un sergent de l’instruction et un excellent caporal qui s’en vont. La compagnie est abolument bouleversée par les derniers departs.
            Je te quitte, maman cherie, en vous embrassant tous comme je vous aime.

J. Médard


[1] Autre parent de Jean, époux d’une cousine éloignée, Gabrielle Leenhardt.

samedi 14 février 2015

Avignon, 14 février 1915 – Jean à sa mère

Avignon Lundi 14 Fevrier 1915
 
          Maman cherie 

          Excellent voyage.
         Jusqu’à Montpellier, lecture de la substantielle brochure de Bois[1], puis sommeil jusqu’à Tarascon. Là j’ai trouvé le ss-lieutenant Hervé Leenhardt[2] et les langues ont marché bon train jusqu’à Avignon. Il revenait de Montpellier et rentrait à Valence. Il m’a confirmé la mort de [René] Cabrol, qui est un volontaire.
Lettre communiquée par Cyril Leenhardt
petit-neveu d'Hervé Leenhardt.
            Ici, rien de nouveau. Pourtant le lieutenant est malade et je suis le grand maître. Ce matin j’ai puni un homme qui avait pissé ds un crachoir. (Tu vois que je te donne des détails)
            Cette après-midi ns rentrons d’une longue marche que mes bleus ont supporté assez vaillamment malgré le chargement complet de leur sac.
            J’aurai à partir de demain une chambre que je partagerai avec le sergent major suplémentaire de la Cie, qui ds le civil est un curé. C’est très amusant. Il a l’air d’avoir un excellent caractère et nous ferons bon menage.
            Que c’est bon ces journées de foyer ; comme on aimerait en avoir davantage, mais quel privilège d’avoir ça.
            Adieu, maman cherie, je t’embrasse, je vous embrasse tous de tout mon cœur.

Jean


[1] Henri Bois. Théologien, professeur à la faculté de théologie de Montauban.
[2] Cousin issu de germain de Jean. Tous les Leenhardt lui sont apparentés, sa grand-mère maternelle étant Caroline Leenhardt, petite-fille d’André-Chrétien, l’ancêtre de la branche française des Leenhardt.