samedi 30 avril 2016

Front de Champagne, en 1ère ligne, 30 avril 1916 – Jean à sa mère

30-4-16
            Maman cherie  

            J’ai reçu hier ton mot du 25. Je ne sais pas ce qui a pu occasionner ce retard à mes lettres, en tout cas il ne faut pas t’affoler comme ça pour deux ou  trois jours sans lettres ; sans ça je t’écrirai + irrégulièrement pour t’habituer. Non ! Je plaisante.
            Je prends maintenant le quart comme chef de section en première ligne : 6 heures le jour ou la nuit. C’est encore là qu’on est le plus tranquille ; seulement il ne faut pas dormir. Le reste du temps, je suis avec ma section un peu en arrière non loin des emplacements de mes premiers sejours aux tranchées.
Il me tarde d’avoir des details sur ta vie à Saverdun. Embrasse bien de ma part tante Suzanne et sa couvée.
Tendrement à toi 

Jean

jeudi 28 avril 2016

Front de Champagne, en 2ème ligne, 28 avril 1916 – Jean à sa mère

28-4-16
            Maman cherie  

            Je t écris mal ; toujours des petits mots. Il m’est assez difficile d’ecrire de longues lettres. Certes les loisirs à la tranchée ne manquent pas, mais des loisirs spéciaux, on est occupé un quart d’heure non l’autre. On pense avoir une bonne soirée à soi, et tout à coup un agent de liaison crie : « exercice d’alerte aux gaz », alors on saute sur son masque sur ses armes, quelques minutes de desordre avant que chacun ait trouvé sa place de combat ou se soit acquitté de ces fonctions spéciales en cas d’attaque par les gaz, puis c’est une attente d’une heure ou plus sous un masque qui tient chaud. On transpire, on jure, on echange des mots amers à l’adresse des commandants de brigade ou de division qui ont ordonné l’alerte et la soirée est perdue ; c’est encore le travail de sa section sur lequel il faut avoir l’œil, ou un relevé de terrain à faire dans le secteur, et surtout les interminables leçons d’élève officier qu’on apprend toujours et qu’on ne sait jamais.
Source : collections BDIC
            Nous allons quitter la ligne II pour la ligne I, mais je ne retourne pas à mon ancien emplacement. Ici j’ai eu assez souvent l’occasion de rencontrer [Roger] de La Morinerie qui travaille dans la région.
            Je t’ai parlé des permissions ds une de mes dernières lettres. Il ne faut pas compter me voir avant bien longtemps. Lucien [Benoît] est bien heureux de revenir pour la 3ème fois, chez nous le 1er tour est à peine fini.
            Je viens de recevoir tes deux lettres des 23 et 24. C’est terrible d’être retournée comme ça pour une lettre de l’aumonier qui me soignait il y a un an. Pauvre Alice !
            Je comprends que l’attente d’un petit-enfant soit pour tante Anna un evenement. Pauvre chère tante Anna si ça pouvait être là une source de joies. Elle qui en est sevrée, et qui a une vie bien amère depuis quelques années.
            Na est bien gloutonne ; je me rappelle avec quel appetit elle avalait les biberons que je lui faisais prendre, mais je ne croyais pas que ça s’étendrait aussi vite à du solide, à de l’or à plus forte raison.
            Tu me parles de tes lectures des sermons de Raoul Allier ou de l’Oratoire [Wilfred Monod]. C’est toi qui aurait du en preter à tante Anna et non elle à toi ; ds les paquets que j’ai rapporté de l’hopital ou du depot il y en a des tas. Je les reçois toutes ici mais je ne les lis pas toutes. Oui, Mlle [Léo] Viguier me fournit de la pature. 
            J’ai reçu aussi ce soir 2 lettres d’elle, retour de Lyon, Elle vient de voir à Paris P. Galley, qui a perdu un de ses frères, je ne sais pas lequel. Je crois comprendre qu’il est mort de maladie.
            Reçu aussi de tante Fanny un paquet de friandise, mais son gateau n’était pas aussi bon que le tien.
            Dis à Suzon que les tablettes de café c’est très bien. Elles ont l’avantage d’être solubles dans l’eau froide. Mais j’ai peur que tous ces produits concentrés et spéciaux sont très chers pour le  profit qu’on en tire. Les prisonniers de Suzon ne prefereraient-ils pas quelque chose de plus substantiel ?
            Je te quitte, j’ai trop sommeil pour ne pas bafouiller. Bien des choses affectueuses à tante Suzanne et à sa petite famille. Details sur la vie d’oncle Georges [Benoît].
Tendresses à toi 

Jean

mercredi 27 avril 2016

Front de Champagne, en 2ème ligne, 27 avril 1916 – Jean à sa mère

27-4-16
            Maman cherie  

            Il fait chaud, chaud, chaud. Je t’assure que tu n’as pas à t’inquiéter pour les lainages. J’aimerais me promener en chemise, mais ce n’est pas de mise ici. Le moins drole dans ma vie ce sont les leçons qu’il faut apprendre et reciter tous les deux ou 3 jours, même aux tranchées ; nous lachons nos ouvrages pour ça.
            Je ne sais si je dois te chercher encore à Cette ou à Saverdun.
            J’ai reçu hier ton gateau, il était exquis, comme le reste de l’envoi : bonbons et caramels.
Très tendrement 

Jean

mardi 26 avril 2016

Front de Champagne, en 2ème ligne, 26 avril 1916 – Jean à sa mère

26-4-16
            Maman cherie  

            Je t’ecris à la fois à Cette et à Saverdun pour être sur de t’atteindre. J’ai reçu ta bonne lettre du 21 et la copie de celle de Mlle [Léo] Viguier. Merci infiniment.
            Exquise douceur de température, vent ds les sapins, chants eperdus des oiseaux. On ne se croirait pas à la guerre !
            Ces derniers jours les permissions ont repris. Mais je suis à peu près le dernier à partir de la Cie, la classe 16 ayant fait ds des bataillons de marche une periode qui lui compte comme temps de front. Il y en a au moins pour 4 mois en admettant que les departs continuent à se succéder regulièrement. C’est bien triste cette separation, mais il n’y aura pas de revoir sans mélange avant la fin de la guerre.
Tendrement 

Jean

lundi 25 avril 2016

Front de Champagne, 25 avril 1916 – Jean à sa mère

25-4-16
            Maman cherie  

            Tu me dis ne pas savoir encore quand tu partiras pour Saverdun. Je t’y ai écrit hier. Aujourd’hui je t’écrirai en même temps à Cette.
            Vie toujours la même, plus souvent dans la tranchée que ds l’abrit maintenant  que le soleil est radieux et que les Boches nous laissent à peu près tranquilles. Hier matin ds le secteur de la Cie, ds un abrit profond : messe. C’était assez émouvant. Mais nous sommes décidement assez loin des catholiques, et je le sens particulièrement pendant leurs services. Et pourtant l’aumonier du regiment a été charmant ; il s’est mis à ma disposition de façon absolument fraternelle pour m’indiquer les correligionnaires qui pourraient avoir besoin de moi. Puis je suis au mieux avec un frère des écoles chrétiennes de ma section, un type celui-là, bien intéressant [Louis Brigand]. Nous ns faisons passer des livres, ns en parlons et nous nous entendons très souvent.
Tendrement à toi et aux Saverdunoises si tu es auprès d’elles. 

Jean

dimanche 24 avril 2016

Front de Champagne, en 2ème ligne, 24 avril 1916 – Jean à sa mère

24-4-16
            Maman cherie  

            Encore une journée radieuse. Je t’envoie ce mot d’affection à Saverdun, à tout hasard. Je suis sur que ce séjour sera très réconfortant pour tante Suzanne et pour toi. Il me tarde d’avoir des nouvelles.
            Ma tranchée de craie est eblouissante sous le grand soleil, et sera presque agreable en été parce qu’ombragée. En effet ds le coin où je suis depuis la dernière relève beaucoup d’arbres ont été épargnés.
Tendrement 

Jean

samedi 23 avril 2016

Front de Champagne, en 2ème ligne, 23 avril 1916 – Jean à sa mère

Dimanche de Pâques, 23-4-16
            Maman cherie  

            Un beau Dimanche de Pâques tiède et ensoleillé ! Le secteur est tellement calme ce matin qu’il semble qu’on fasse armistice et qu’on veuille respecter les premières paroles de Jesus ds la chambre haute : « La paix soit avec vous ».
            Et de fait, depuis hier je me trouve dans une atmosphère de veritable paix interieure, de plenitude, de communion avec tous les bien aimés. J’ai reçu hier ta bonne lettre du 18 et ces derniers jours des lettres de mes plus chers amis et ns sommes spécialement près les uns des autres aujourd’hui. Je suis avec vous autour de la table sainte.
            Tu te demandes si je ne me suis pas battu. Tu comprends bien que je te le dirais. Les petites rafales d’artillerie dont les boches nous regalaient alors – il y a déjà 15 jours – n’avaient rien de bien grave puisqu’elles n’ont fait de mal à personne. S’il y avait attaque et véritable combat d’infanterie, l’artillerie ferait autrement de bruit.
            Je t’écrirai à partir de demain à Saverdun.
            Mes idées sur la guerre ! Elles sont bien complexes. Bien sur que c’est un crime de tuer. Il y a tuer et tuer. La haine est encore plus grave que le meurtre, et nous tuons sans haine. Ce qu’il y a de terrible c’est que le devoir pour ns ne consiste pas à choisir entre le bien et le mal, mais entre le mal (ne pas defendre sa patrie, son idéal) et un un mal (tuer) et un mal plus grand encore (ne pas defendre sa patrie, son ideal). Ns ne faisons pas que demolir et ns faire demolir, ns construisons aussi.
            Bonnes nouvelles de [Daniel] Loux, qui passera le trimestre d’été à Paris, de tante Fanny, de Mlle [Suzanne] de Dietrich, et Mlle [Léo] Viguier, d’[Albert] Léo, de [René] Cera, etc. etc.
Très tendrement, 

Jean

vendredi 22 avril 2016

Front de Champagne, en 2ème ligne, en 22 avril 1916 – Jean à sa mère

22-4-16
            Maman chérie  

            Reçu ta bonne lettre du 17, ecrit de chez tante Jenny [Scheydt]. Comment as-tu trouvé cette dernière ? et tante Anna ? Je ne crois pas que le 255 soit dans les parages. D’ailleurs puisqu’il ne vient pas au repos ds les environs de mon cantonnement nous sommes séparés par un monde.
            Je comprends ta joie de te retrouver « at home ». Suzon aussi devait languir après son mari et son intérieur.
            Si tu dois t’engager comme infirmière ? Il ne me semble pas que ce soit pour toi un devoir immédiat, puisque tu es utile autre part. Mais si tu t’y sens appelée je serai le premier à t’approuver.
            J’embrasse tendrement toute la maisonnée. 

Jean

mercredi 20 avril 2016

Front de Champagne, en 2ème ligne, 20 avril 1916 – Jean à sa mère

20-4-16
            Maman cherie  

            Je t’ai ecrit cette après-midi très laconiquement. Depuis 2 ou 3 jours j’ai une vie extremement remplie, et je me rejouis d’avoir ce soir quelques minutes à passer avec toi.
            Le colonel commandant la brigade se faisant presenter les aspirants du bataillon, je suis parti pour les lignes, via un poste de commandement, avant le depart de la Cie. Je suis parti avec un aspirant de la classe 16, un « pitchounet », avec une figure de petite fille ; tout naïf et tout gentil. Le colonel est un bon vieux. Il m’a demandé si j’amenais la pluie, mon age, ma profession, mes diplomes, mon histoire mes états de service ; il m’a questionné sur ma famille et congédié le + aimablement du monde en me disant que j’avais d’âge pour faire un ss-lieut et qu’il me « suivrait de près ». Le colonel commandant le régiment, chez qui je suis passé ensuite « me suivra ». Tu me vois d’ici suivi par 2 colonels.
            Je suis arrivé au secteur seulement pour la soupe. Secteur de ligne 2 que ns prenons quelques jours avant de reprendre la ligne 1. J’ai eu à peine le temps de faire un tour dans mon nouveau domaine et j’ai du repartir à travers le secteur du regiment réciter ma leçon au capitaine Garène, qui n’était pas la.  Véritable voyage ; au retour j’ai visité de plus près mon secteur, puis, après la soupe, celui de la Cie, qui est assez etendu. Enfin je me suis allongé sur ma couchette, où le sommeil n’a pas tardé à me visiter, car j’étais debout depuis 4 heures du matin. Aujourd’hui moins de fatigue, mais je me suis familiarisé avec mon nouveau coin, mes nouvelles consignes, mon nouveau travail. Toujours grand calme, abrits confortables. Mes hommes travaillent aux tranchées.
Source : Mémoire des hommes
JMO du 132ème R.I - 20 avril 1916
            Et voilà ! J’ai eu une semaine de Pâques bien peu receuillie jusqu’ici.
            Je « fais mes Pâques » quand même. Cette nuit c’est la nuit des adieux de Jésus à ses disciples, de Gethsemané, et les paroles du Christ, paroles d’angoisse ou de consolation deviennent singulièrement vivantes. « S’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ; que ta volonté soit faite et non la mienne… »
            J’ai reçu cet après-midi ta bonne lettre du 26. Ne t’en fais pas pour ta dent de devant. Ça se remplace.
            Quand penses-tu partir pour Saverdun ?
            Excuse la banalité de la lettre. Je suis abrutti par le sommeil. Il vaut mieux que je m’arrête là.
Tendrement, très tendrement à toi 

Jean

mardi 19 avril 2016

Printemps 1916 – Au repos


Au repos, comme aspirant, je partage la vie des sous-officiers de la compagnie. C’est un milieu pas très raffiné, bruyant, mais assez sympathique. A la caserne, en temps de paix, nous serions sans doute assez indifférents les uns aux autres ; maintenant, vivant toujours ensemble, embarqués dans la même aventure, nous formons une communauté assez unie.
Quelques-uns boivent trop. Il faut oublier les malheurs du temps ! Un sergent a une assez belle voix et chante à table d’une façon agréable : « O nuit, qu’il est doux ton mystère, quand tu répands sur nous ton ombre et ta clarté ». Mais lorsqu’il a un verre dans le nez, il devient assez agressif. Il crache dans le quart du camarade qu’il a pris à parti. Tir d’une précision étonnante ! d’un bout à l’autre de la table, il ne rate pas son but. On aime mieux le chanteur que le cracheur.
Séparés de leur famille, condamnés à mort en sursis, cafardeux, hommes et gradés cherchent souvent l’évasion dans l’alcool. Cela ne facilite pas toujours les rapports humains. Notre fraternité de guerre n’abolit pas les petites jalousies et les mesquineries. Dès que l’un d’entre  nous est moins exposé que les autres, le sergent-major par exemple, qui, du fait de ses fonctions ne participe pas aux « coups durs », on le considère comme un embusqué, on le jalouse et on le méprise à la fois.
Bien plus importants sont les rapports avec les hommes, les « poilus de la 5ème », et surtout les hommes de ma section, dont je suis responsable et auxquels je me dois.  Il y a parmi eux une majorité de Bretons, généralement jeunes, dociles et un peu passifs, quelques Ardennais, quelques Champenois et aussi quelques Parisiens, moins facile à manier, moins confiants et plus frondeurs, surtout des paysans, quelques ouvriers et même un frère des écoles chrétiennes, un saint homme malgré son nom de « Brigand » [Louis Brigand]. Deux des ouvriers parisiens sans être indisciplinés sont hostiles, je le sens. Ils dressent une barrière entre leurs chefs et eux. Je souffre de ce durcissement que rien ne pourra amollir. Malgré cette sourde résistance nous formons une bonne équipe car ils ne sont pas aimés de leurs camarades, qu’ils semblent mépriser, et ils restent dans la section un corps étranger.
Carnet de Jean Médard - Les hommes de sa section
 
Carnet de Jean Médard - Les hommes de sa section

Carnet de Jean Médard - Les hommes de sa section
 

Carnet de Jean Médard - Les hommes de sa section


Quant aux officiers ils ne sont pas embêtants.
Le lieutenant Renault qui commande la compagnie est un homme grand et fort, un gars d’Aubervilliers, un peu vulgaire, mais brave homme, capable, bon officier. Entrepreneur de menuiserie dans le civil, il n’y en a pas un comme lui pour diriger le creusement et le coffrage des abris, travail auquel nous nous consacrons lorsque nous ne sommes pas en première ligne.
Le sous-lieutenant K. G. est gentil camarade mais ses qualités militaires ne correspondent pas à son brillant prénom. L’abus de l’alcool l’a complètement détraqué. Né dans une famille de petits propriétaires, vignerons dans la vallée de la Marne, il a dû abuser de bonne heure du vin de son pays, et de bien d’autres liquides.
Il y a aussi « Monsieur Soula », un ancien sous-officier d’active, pas déformé par le métier, intelligent. Son accent de Toulouse tranche sur le parler français (ou breton) de la compagnie. Comme le commandant lui demandait ironiquement à son arrivée : « D’où êtes-vous, Monsieur Soula ? », il a répondu avec un accent retentissant : « Du Pas-de-Calais, mon commandant ! » Les officiers supérieurs nous ne les voyons presque jamais et je les connais à peine de vue. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)

lundi 18 avril 2016

Front de Champagne, 18 avril 1916 – Jean à sa mère

18-4-16
            Maman cherie  

            Il n’y a plus rien de régulier pour les relèves. Je crois que nous allons remonter à la tranchée.
            Il fait toujours un sale temps.
            Ce qui est embêtant c’est que nos cours de futurs officiers vont reprendre même à la tranchée. C’est assez absorbant et très fastidieux. Enfin.
Tendrement 

Jean

Sète, 18 avril 1916 – Mathilde à son fils

Villa de Suède, le 18 Avril 1916
            Mon enfant cheri, 

            Ton paquet arrive et j ai aussi ta lettre du 12 qui vient de Marseille.
            Il faut que tu me dises si tu ne t’es pas battu. Cette incertitude est terrible. Tu me parles de l’activité plus vive de l’artillerie boche. Cela n’a-t-il pas été suivi d’autre chose ? C’est encore en hâte que je t’écris. Tante Anna vient de venir avec Madeleine et après son depart Suzie me harcele pr que je l’accompagne dans sa visite de deuil à Mme Benker [née Olga Frisch] et à Mme A. Frisch [Gabrielle Berry, épouse Alfred Frisch. Mathilde donne l'initiale pour distinguer de son amie "Mme Frisch" (née Louise Cormouls), la mère d'Olga et d'Alfred]. Elle ne m’accorde que quelques instants pr t’écrire.
            Ce matin lettre de tante Suzanne m’annonçant la mort de sa tante Gueraud. Elle est tombée d’un étage et a survécu 18 mois dans des souffrances affreuses. Encore à ce moment j’aurais été utile car elle a du aller à Montauban pr l’ensevelissement.
            A Pâques Cocoï[1] prêche à Saverdun, je n’irai donc que dans le courant de la semaine de Pâques. Lucienne [Benoît, l’ainée des enfants de Georges Benoît et Suzanne Bergis] désire me voir et elle est la jusqu’au Dimanche de Casimodo.
            Pour toi il n’y a aucun changement. Pâques est un jour comme les autres, mon pauvre petit cheri !
            Dis moi une fois comment tu accommodes tes idées tes sentiments de cette vie si peu faite pr toi ! Dis-moi si tu crois que c’est le devoir de tuer, si Dieu ne considère pas cela comme un crime ? que m’as-tu dit lorsque ns avons causé de cela, redis le moi.
            En hâte. Tu ne peux croire combien Hugo est gentil beaucoup plus aimable et filial.
            En masse les caresses les plus tendres les plus chaudes.  

Ta vieille maman 

Na parle très bien, elle dit papa et bavarde sans arrêt.


[1] Surnom donné par ses camarades et ses étudiants à Léon Maury (1863-1931), un enseignant de la faculté de théologie de Montauban, ancien condisciple de Pierre Médard et ancien professeur de Jean, d’où l’utilisation du surnom par Mathilde, qui devait l’avoir entendu à la fois de la bouche de son mari et de celle de son fils, chacun en son temps.

dimanche 17 avril 2016

Front de Champagne, 17 avril 1916 – Jean à sa mère

17-4-16
Source : Mémoire des hommes - Morts pour la France


 
            Maman cherie  

            Je reçois ta bonne lettre du 13 et celle de tte Anna que tu me communiques. Comment va Na ? J’espère que vous avez pu quitter Marseille sans encombre et que vous n’y pensez plus. La lettre de tante Anna m’a aussi beaucoup interessé et même ému. Pauvre tante Anne quelle tristesse, que de misères et que je la plainds. J’apprends aussi la mort de Maurice Dugrip et ça m’a peiné ; ce grand garçon plein de vie et de jeunesse ! Toujours le cantonnement, toujours la fonction d’adjudant. La pluie, presque le froid.
Tendresses

Jean

samedi 16 avril 2016

Front de Champagne, 16 avril 1916 – Jean à sa mère

16-4-16
 
Rien n'indique que Jean parle dans sa lettre
de cette photo précise.
          
Maman cherie 
 

            Je viens de recevoir la bonne lettre de Suzon du 12, et deux nouvelles photos de la petite. Elles me font un plaisir que je ne puis pas dire. Elles ne sont pas aussi bonnes que la première qui est vraiment excellente, mais elles sont tellement vivantes. A Cette, ds les bras de son papa elle est roulante de placidité et de  beatitude, et Hugo est reussi. A Marseille, ds les bras de sa grand maman on la retrouve plus difficilement, mais ta silhouette est amusante. Merci infiniment.
            Vous réclamez à grands cris des details. Mais quels details vous donner. Les seuls evenements de ma vie ce sont les lettres que je reçois, les details sur votre vie à vous et les nouvelles des amis. Seules les lettres me font sortir de cette torpeur qui est le mal du front.
            Je n’ai eu de desillusions ni sur mes camarades, ni sur mes hommes, mais seulement sur moi-même. Dès que je ne suis plus dans une atmosphère de veritable affection ou d’amitié, je m’engourdis. La plupart de mes camarades sont très sympathiques, mais ça ne me suffit pas. Je vis très près d’eux, car tout en restant dans le même cantonnement ns avons changé de baraque ; la nouvelle est très confortable, mais nous y sommes tous les ss-off ensemble. Je ne puis te parler de chacun d’eux ; le nouveau sergent de ma section est assez agé, père de 4 enfants. C’est un rengagé. Generalement la race des rengagés est une sale race. Celui-ci fait exeption. Il ne parle presque pas mais est un bon camarade.
            Parmi les autres : Lanoë, un tout jeune, très gentil, bien élevé, sérieux. Je l’ai connu au depot. Ns avions même passé ensemble une journée à St Brieuc. Couvreur, jeune aussi et assez gosse ; seminariste. Nous nous entendons très bien. En dehors de la Cie, je ne vois guère que [Roger de] La Morinerie.
            Avec les poilus ça va aussi très bien. Je souffre seulement d’avoir à commander, à faire exécuter des ordres parfois idiots. C’est le metier. Mais il est bien difficile à un chef de section d’être un vrai frère pour ses hommes.
            Vis-à-vis d’eux ma vocation reste la même, et mon desir d’evangelisation le même ; mais j’ai pris en horreur la parole. Ils ne savent même pas que je suis chrétien. On leur en a tant fait de laïus alors qu’il aurait mieux valu se taire, alors qu’on en était pas digne. Pour eux maintenant ce n’est que du « bourrage de crane » et ils ont raison.
            Je ne regrette le discours de Barthon, ni pour moi, ni pour eux. Ce n’est pas le sermon qui me manque le Dimanche, mais l’adoration, la confession, le chant, la prière en commun.
            Aujourd’hui c’est le Dimanche des Rameaux. Je ne puis pas mieux faire que de le passer avec vous. Je suis avec vous, je vous embrasse. 

Jean

vendredi 15 avril 2016

Front de Champagne, 15 avril 1916 – Jean à sa mère

                                                                                                                                 15-4-16

            Je n’ai pas pu continuer hier la lettre commencée. Toujours ces fonctions d’adjudant qui sont assez absorbantes. Cette nuit nous sommes allés travailler à la deuxième ligne de defense : creuser des tranchées, jetter de la terre, etc. Nous sommes rentrés à 2 heures au cantonnement et ce matin je me suis reveillé à 10 h ½. Aussi je suis encore un peu vaseux.
            Il faut doublement jouir de la periode de cantonnement maintenant parce que ns passerons deux fois plus de temps à la tranchée à partir de la prochaine relève. Une période de tranchée de 1ère ligne, un période de 2e ligne, une periode de cantonnement.
            J’en reviens à tes lettres : tu ne peux croire le plaisir que m’a fait la photo de la petite. J’en avais presque les larmes aux yeux. Je l’ai retrouvée, mais transformée, developpée. Maintenant il me semble presque que je l’ai connue comme ça.
            Pour les paquets j’ai en effet eu le tord de ne pas spécifier chaque fois ce que je recevais, mais il a du se perdre des lettres car je me rappelle avoir remercié Suzon du plum-cake qu’elle m’avait fait elle-même.
            Avez-vous repris votre vie de tous les jours à la maison ? Quand pars-tu pour Saverdun.
Très affectueusement à toi 

Jean

jeudi 14 avril 2016

Front de Champagne, 14 avril 1916 – Jean à sa mère

14-4-16
            Maman cherie  

            Je t’ai ecrit ce matin une carte à Marseille. Je pense que tu n’y sera plus lorsque ma prose te parviendra et j’eprouve d’autre part le besoin d’être moins laconique.
            Donc j’ai reçu tes 3 lettres des 8, 9, 10. 

[Lettre interrompue et continuée le 15 avril]

Front de Champagne, 14 avril 1916 – Jean à sa mère

14-4-16
            Maman cherie  

            J’ai recu hier tes trois bonnes lettres des 8, 9,10, l’argent de tante Fanny, la photo de Na et de sa maman. C’est peut-être encore ça qui m’a fait le plus de plaisir. Qu’elle s’est developpée ! Je la retrouve quand même. L’argent a été aussi le bien venu ; ns sommes en effet depuis hier en cantonnement, avons l’occasion d’aller à M. [Mourmelon] et de nous payer quelques douceurs. Hier j’y suis allé avec [Roger de] La Morinerie ; à l’hôtel ns avons trouvé des lieut. et ss-lieut. du régiment avec lesquels ns avons bu force bière et champagne. Tu vois que je me devergonde. Retour sous une pluie battante. Ici j’ai un peu de travail, parce que je remplace l’adjudant, qui est allé à son tour aux cours de chef de section.
Tendresses 

Jean

mardi 12 avril 2016

Front de Champagne, 12 avril 1916 – Jean à sa mère

12-4-16
            Maman cherie  

J’ai reçu hier les lettres des 6 et 7. Décidement elles arrivent en paquet.  Ça ne fait rien. Quand je n’en reçois pas un jour je me console en pendant que ce sera 2 ou 3 que je recevrai le lendemain ou le surlendemain. Un vrai journal.
Toujours la même vie. Les artilleurs boches se sont reveillés un petit peu il y a quelques jours, mais pas assez pour nous gener vraiment et nous causer des dommages. Maintenant tout est redevenu calme.
C’est très bien d’être venu en aide à Mr [Henri] Barraud. Il avait été aumonier fidèle auprès de moi, et je suis heureux que ce soit les miens qui lui remplacent les pneus qu’il avait usés en venant presque chaque jour à Glorieux. Merci aussi à tante Fanny, à Jeanne, à Suzon.
Je te répète que je ne manque de rien, que je me porte comme le pont neuf, et que j’ai une mine superbe. J’engraisse certainement dormant comme une brute, mangeant comme 4 et menant les ¾ du temps une vie sedentaire.
Je croyais Suzon partie depuis longtemps. Comment va Na ? Ça me fait plaisir qu’elle me ressemble, je lui souhaite d’être moins paresseuse que son oncle. Pauvre gosse ! Je la vois prenant ses inhalations, elle doit devenir rouge comme une écrevisse. Et les photos ? Bien heureux que tu aies reçu des nouvelles de Lalouette.
Je t’embrasse tendrement, je vous embrasse tous. 

Jean

dimanche 10 avril 2016

Front de Champagne, 10 avril 1916 – Jean à sa mère

10-4-16
            Maman cherie  

            Je suis un peu abrutti aujourd’hui. Mais c’est dans l’ordre des choses. A part ça tout va bien. Tu dois être bien privée de ta fille et de de ta petite fille.
            Je vous embrasse tante Fanny, toi et tous les Mazargois avec toute mon affection. 

Jean

samedi 9 avril 2016

Front de Champagne, 9 avril 1916 – Jean à sa mère

9-4-16
Source : Mémoire des hommes - Morts pour la France
            Maman cherie  

            J’ai reçu hier à la fois tes lettres du 3, 4 et 5. Je n’ai pas besoin d’argent ; du dentifrice j’en ai acheté à Châlons ; du rhum, c’est defendu, et je ne vois pas d’ailleurs de que j’en ferais. Ne t’inquiètes pas ; si j’ai besoin de q. chose, je te le demanderai.
            Tu me demandes des details sur Mlle [Léo] Viguier. De famille, elle n’en a pas, c’est une « self-made woman », c’est-à-dire qu’elle s’est créé elle-même sa personnalité et sa vie, étant d’origine humble. Son age, je ne le sais pas, mais elle doit avoir 30 à 35 ans.
            Mme Benker est vraiment très eprouvée. Oui, elle n’aura pas de fils à la guerre, mais elle y a perdu son mari[1], et il me semble que ça compte. Ma pauvre chère maman ! Ton fils n’est pas malheureux, et il ne risque pas trop. Il t’embrasse bien tendrement, toi et ceux qui sont avec toi.

Jean


[1] Voir Camille Benker.