jeudi 28 avril 2016

Front de Champagne, en 2ème ligne, 28 avril 1916 – Jean à sa mère

28-4-16
            Maman cherie  

            Je t écris mal ; toujours des petits mots. Il m’est assez difficile d’ecrire de longues lettres. Certes les loisirs à la tranchée ne manquent pas, mais des loisirs spéciaux, on est occupé un quart d’heure non l’autre. On pense avoir une bonne soirée à soi, et tout à coup un agent de liaison crie : « exercice d’alerte aux gaz », alors on saute sur son masque sur ses armes, quelques minutes de desordre avant que chacun ait trouvé sa place de combat ou se soit acquitté de ces fonctions spéciales en cas d’attaque par les gaz, puis c’est une attente d’une heure ou plus sous un masque qui tient chaud. On transpire, on jure, on echange des mots amers à l’adresse des commandants de brigade ou de division qui ont ordonné l’alerte et la soirée est perdue ; c’est encore le travail de sa section sur lequel il faut avoir l’œil, ou un relevé de terrain à faire dans le secteur, et surtout les interminables leçons d’élève officier qu’on apprend toujours et qu’on ne sait jamais.
Source : collections BDIC
            Nous allons quitter la ligne II pour la ligne I, mais je ne retourne pas à mon ancien emplacement. Ici j’ai eu assez souvent l’occasion de rencontrer [Roger] de La Morinerie qui travaille dans la région.
            Je t’ai parlé des permissions ds une de mes dernières lettres. Il ne faut pas compter me voir avant bien longtemps. Lucien [Benoît] est bien heureux de revenir pour la 3ème fois, chez nous le 1er tour est à peine fini.
            Je viens de recevoir tes deux lettres des 23 et 24. C’est terrible d’être retournée comme ça pour une lettre de l’aumonier qui me soignait il y a un an. Pauvre Alice !
            Je comprends que l’attente d’un petit-enfant soit pour tante Anna un evenement. Pauvre chère tante Anna si ça pouvait être là une source de joies. Elle qui en est sevrée, et qui a une vie bien amère depuis quelques années.
            Na est bien gloutonne ; je me rappelle avec quel appetit elle avalait les biberons que je lui faisais prendre, mais je ne croyais pas que ça s’étendrait aussi vite à du solide, à de l’or à plus forte raison.
            Tu me parles de tes lectures des sermons de Raoul Allier ou de l’Oratoire [Wilfred Monod]. C’est toi qui aurait du en preter à tante Anna et non elle à toi ; ds les paquets que j’ai rapporté de l’hopital ou du depot il y en a des tas. Je les reçois toutes ici mais je ne les lis pas toutes. Oui, Mlle [Léo] Viguier me fournit de la pature. 
            J’ai reçu aussi ce soir 2 lettres d’elle, retour de Lyon, Elle vient de voir à Paris P. Galley, qui a perdu un de ses frères, je ne sais pas lequel. Je crois comprendre qu’il est mort de maladie.
            Reçu aussi de tante Fanny un paquet de friandise, mais son gateau n’était pas aussi bon que le tien.
            Dis à Suzon que les tablettes de café c’est très bien. Elles ont l’avantage d’être solubles dans l’eau froide. Mais j’ai peur que tous ces produits concentrés et spéciaux sont très chers pour le  profit qu’on en tire. Les prisonniers de Suzon ne prefereraient-ils pas quelque chose de plus substantiel ?
            Je te quitte, j’ai trop sommeil pour ne pas bafouiller. Bien des choses affectueuses à tante Suzanne et à sa petite famille. Details sur la vie d’oncle Georges [Benoît].
Tendresses à toi 

Jean