jeudi 18 mai 2017

Sète, 18 mai 1917 – Mathilde à son fils

Cette le 18/5 1917
            Mon fils aimé 

            Ce sera moi qui serai laconique aujourd’hui ; déjà hier je t’ai fait faux bond ayant eu le matin le culte, le soir tante Anna ses filles [Madeleine et Laure Benoît] belle-fille [Yvonne Bouscaren ép. de Lucien Benoît] bébé [Pierre Benoît] et tante Jenny [Scheydt] à prendre le thé. Réunion très cordiale. Ce matin Suzie vient de se remettre au lit avec de vilains tournements de tête et les soins du ménage et d’Elna m’incombent en entier.
            J’ai eu avant-hier soir ta bonne chère du 11. Je te pardonne tout à fait d’être si succinct dans tes messages ; tu sais et tu comprends je voudrais tant vivre de ta vie à tes côtés et tu dois trouver, toi, que c’est mieux pr moi que cela ne soit pas.
            Mais Dieu m’accorde encore la grâce de te sentir à l’Etat Major ; si tu savais quel apaisement cela m’est. Penses-tu que cela puisse durer ? et que vraiment bientôt sonne l’heure de la vraie relève ? Alors tu viendras bientôt après n’est ce pas ?
            Quel bénédiction aussi cette réunion avec Hervé [Leenhardt]. Ah ! que j’en suis heureuse et reconnaissante. Y a-t-il entre vous plus d’intimité une plus étroite union ?
            Hier tu te serais amusé de voir nos deux petits se disputer. Pierrot [Benoît] est le plus placide des bébés mais Elna lui arrachait des mains tout ce qui est en propre à Ena. Ché à Ena dit elle sans cesse. Le soir elle s’est couchée sans diner ayant refusé de laisser sa mère la faire manger. Ena tou cheul. Oh je t’assure que les père et mère ne plaisantent pas, elle est à une rude école. Moi je ne dis rien, je n’en pense pas moins et je suis incriminée.
            Figure-toi la grande douceur qu’à tante Anna. Le grand directeur des messageries maritimes lui a écrit une lettre exquise pr lui dire que leur désir était que toutes les unités nouvelles en construction devaient porter le nom d’un de leurs collaborateurs mort en héros pr en perpétuer le souvenir et que l’on avait tenu à ce que la première unité sortant des chantiers porte de le nom de Docteur Pierre Benoît. C’est dit d’une façon si simple et si belle. Tu penses combien ta tante en est émue.
Source : Gilles Morlock
in Destins brisés de la faculté de médecine de Montpellier
             Et sur ce je te quitte pr aller à la cuisine. Du reste Na se charge de m’empêcher d’écrire le soir je serai plus au calme et plus à toi.
            Je comprends ce que ce bruit assourdissant doit être et je souhaite bien ardemment qu’il soit vite loin de toi.
            Bons et infinis baisers de ta mère.