Cette le 22/5 1917
Mon bien aimé
Je n’ai pas écrit à temps pour le
bon courrier et j’ai tjours de la peine à apporter involontairement de l’irrégularité
à ma chère correspondance avec toi. Je voudrais la rendre plus intime, plus
interessante mais souvent je suis arrêtée dans tout ce que je voudrais te
dire….. J’ai peur que ceci ou cela de mes sentiments ne soient pas ce que tu
voudrais, une maman qui craint le jugement de son petit c’est un peu
extraordinaire et il est si bon mon fils, si indulgent pr les faiblesses
d’autrui.
Je vais te dire une chose que j’ai
faite cet après midi et qui m’a été très douce, c’est d’aller à la Croix Rouge
voir deux soldats blessés du 132e tous deux de la 7e du 2e
Bataillon Tanguède Jean et Delhommiau Constant. Brancardier ce dernier. Tanguède est
très bavard et j’ai pu connaître bien des détails bien interessants mais il a
été blessé le 16 deux heures après le declanchement de l’attaque. Il est de la
Gironde ; l’autre plus taciturne est de la Vendée. Ils te connaissent tous
deux et t’aiment beaucoup. Ils avaient été tout réjouis de t’avoir à la 7ème
malheureusement disent-ils cela a été bien court.
Je leur ai apporté quelques
cigarettes et les ai invités à prendre le café dès que cela leur sera possible
et je retournerai les voir Il y en a deux autres mais que je n’ai pas cherché à
voir ils sont du 3ème Bataillon et ne te connaissent que fort peu.
Tanguède me rappelle ton ordonnance.
Suzie a diné hier soir chez les
Herrmann[1],
elle a appris là que les Eug. Leenh. [Eugène Leenhardt] étaient partis pour
Constance ayant été avisés par la Croix Rouge que Robert [Leenhardt] avait été
amené en Suisse. Ils sont sceptiques car quantité de ces pauvres enfants sont
annoncés comme devant être évacués, puis, ne le sont pas et enfin cela denote
un état de santé chez Robert bien préoccupant. N’as-tu rien su de cela par
Hervé [Leenhardt] ?
En rentrant ce soir j’ai trouvé tes
deux cartes du 16 et du 17. Te voilà loin d’Hervé, cela m’ennuie beaucoup,
c’était si bon de vs sentir l’un près de l’autre.
J’ai été enfin voir Mme Frisch
[Louise Cormouls, veuve Frisch] où j’ai trouvé naturellement tante Anna.
Je serai sans doute seule avec Na
pour la Pentecote. Axel écrit que Rudy est là en permission et désire voir
Hugo. Je pousse Suzie à l’accompagner. Elle ne se décide pas dans la crainte de
me laisser de la peine et de la solitude, mais tu sais que cela m’est bon de
m’occuper de Na et puis je suis avec toi.
Je continue ce mot ce matin avant le
départ du courrier, talonnée par la cuisine dont je dois m’occuper. Je reçois
un mot de Bourgade[2] me
disant qu’il va régler définitivement la succession[3]
mais qu’en examinant les pièces il n’y trouve pas une procuration que tu as
déjà du donner. Il me prie de la lui envoyer, si non il me fera le brouillon pr
te l’expédier. Tout cela amène des retards infinis.
Je t’embrasse [mot illisible]
infiniment. Que Dieu soit avec toi.
Ta mère
[1] Rappel : Suzie et Jean étaient amis d’enfance d’Alice Herrmann, la future femme de Jean. Les Herrmann avaient quitté Sète quelques années auparavant pour s’installer à Montpellier.
[2] Mathilde
écrit ici Bourgade, et Bourjade dans sa lettre à venir du 16 septembre 1917.
L’orthographe est donc incertaine.
[3]
Il s’agit vraisemblablement de la succession de la grand-mère paternelle de
Jean, Coralie Bérard, veuve de Gustave Médard. Elle était morte en 1911. Les
Médard étaient de Lunel, et Gustave Médard avait été propriétaire terrien, mais
avait été ruiné par des crues du Rhône.