Pont-St-Esprit,
1 septembre 1914
Ma chère Maman,
C’est hier que je devais t’écrire.
Mon retard me procurera au moins le plaisir de répondre à ta lettre.
Il est arrivé depuis ma dernière lettre un
changement notable ds ma vie. Vendredi après-midi en partant pour l’exercice,
j’ai vu passer en voiture Maurice Lafon, fils du pasteur de Montauban, un des
meilleurs membres de mon groupe de lycéens. J’ai pu le rejoindre et lui donner
rendez-vous. Bref, à 6 heures, je partais avec lui en voiture pour la Pailhasse
propriété de sa famille à 3 kil de Pont St Esprit. Son père est à Montauban
mais ses mère, grd mère etc m’ont reçu d’une façon absolument épatante. J’ai
commencé par me nettoyer à fond ds la chambre de Maurice. A 7 heures pour la
première fois depuis 20 jours je me suis assis à table et j’ai mangé un repas
complet. Après diner on m’a reconduit en voiture. Ravi de ma soirée.
Théoriquement il est défendu de sortir de la garnison mais pratiquement on ne
ns dit jamais rien.
Samedi Lafon et son frère sont venus me rejoindre et
nous avons fait une bonne ballade ensemble.
Enfin hier journée exquise. Bien que nous soyons
consignés jusqu’à 5 heures ds notre casernement, sans que ns ayons d’ailleurs
rien à faire je me suis échappé à 8 heures du matin après avoir fait ma
lessive. J’ai fait un détour par la campagne pour ne pas me faire pincer et
suis arrivé là bas à 9 heures.
Petit déjeuner en famille, ballade ds les bois avec
Maurice et ses frères. Délicieux bavardage. Mme Lafon m’a demandé de
faire le culte avant diner. Après diner, sieste : j’ai dormi 2 heures dans
un vrai lit du sommeil du juste.
Après gouter, petite course dans les coteaux –
splendide coucher de soleil. Au retour douche d’eau froide : les mauvaises
nouvelles des Allemands à la Fère et Guise. Après diner retour rapide à Pont St
Esprit. Les Lafon m’ont dit de revenir simplement aussi souvent que je pourrais
et voudrais. Vie militaire toujours assez intéressante. Je pense bien souvent à
vous. Je ne sais pas ce qu’on va faire de nous. Triste, la mort de Rey-Lescure
et des autres et tout ce qu’on entend dire partout. J’ai n’ai jamais reçu la
lettre de Loux.
Je t’embrasse de tout mon cœur.
Jean