vendredi 9 novembre 2018

Marseille, 9 novembre 1918 – Mathilde à son fils

Villa Svéa ce 9/XI 1918

Mon aimé

Que d’angoisses encore ces derniers jours à ton sujet. Ah ! Si Dieu permettait que cette agonie prenne fin. Figure-toi que depuis le 30 je n’avais plus rien reçu de toi ! Malgré les nouvelles reçues de Gilbert [Leenhardt] du 1er j’étais ce matin complètement affolée et bouleversée. Je suis encore si nerveuse !

J’ai donc laissé les enfants aux soins d’Annie [Busck ép. Houter] et je suis partie en hâte pr le bureau de [Edouard] Picard [époux de Jane Bucsk, une nièce de Mathilde] afin de téléphoner avec Hugo. Celui-ci m’a assuré que tu étais en sécurité à l’arrière et qu’ils avaient fait suivre une lettre du 4 je crois ?

Ce soir enfin j’ai eu, avec une lettre de Suzie vieille de trois jours une de toi du 31, de 9 jours de date.

Je ne sais si Hugo fait erreur ou si j’en recevrai une du 4. Que tout cela m’inquiète. Mais Dieu est bon de t’avoir préservé.

N’est-ce pas mon aimé tu n’y retourneras plus vers cette effroyable tourmente ? C’est fini ? Dis-le moi que c’est fini !

Te voilà bien triste de toutes ces douleurs que tu cotoies. Comme tu en as vues mon fils. Que n’es-tu brisé par tant de [mot illisible] et de souffrances morales.

Mais pourquoi donc n’ai-je pas de nouvelles directes à Marseille puisque tu es un peu à l’arrière ?

J’ai su aussi que Suzie était au lit avec une crise de vessie – mais rien de grave me dit Hugo. Il m’engage à demeurer encore ici quelques jours avec les enfants puisqu’ils n’ont pas de secours.

Les nouvelles du front sont merveilleuses mais on ne peut plus se réjouir on n’a plus de courage.

Voilà Grébert1 à son tour qui succombe. J’en ai été profondément émue. Il partait avec tant de regrets et puis partir à la fin le sacrifice est encore tellement plus douloureux pour ceux qui restent.

Ce pauvre [Charles] Galais aussi. S’est-il vu mourir ?

Tu ne me parles pas des autres sacrifices ont-ils été nombreux ? On parle autour de moi, excuse le décousu de ces lignes en t’écrivant je parle à Pierre [Ekelund, son petit-fils] et à Jane [Busck ép. Picard, sa nièce].

Baisers, baiser infinis

Ta vieille maman très vieille

Tante Fanny continue à être courageuse. Elle n’ose se plaindre en songeant à toutes celles qui pleurent de jeunes héros !

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1 Charles-Henri Grébert (1893-1918). Grébert était soldat au 321ème RI, né à Nancy. Mathilde comme Jean le connaissant, la piste protestante s’impose, d’autant que la mort d’un Charles Grébert est annoncé dans le numéro de novembre 1918 du Semeur, périodique de la Fédé.