La moindre
permission ferait bien mieux mon affaire. Comme mon tour parait encore
lointain, je propose à ma mère de venir me rejoindre. C’est aventureux, car
nous risquons d’être partis lorsqu’elle arrivera. C’est irrégulier car je n’ai
pas le droit de lui faire savoir où je suis et elle n’a pas le droit de
pénétrer sans autorisation dans la zone des armées. Qui ne risque rien n’a
rien.
Ma mère, aguerrie
par son expédition à Verdun, est prête à
tout entreprendre pour me revoir. Elle débarque quelques jours plus tard
à Mezy, de l’autre côté de la Marne, me fait avertir et je lui fais traverser
le pont qui marque la limite de la zone. Je l’installe dans la maison que
j’habite moi-même et où mon hôtesse lui a réservé une chambre. Nous étions
séparés depuis sept ou huit mois.
Tout d’abord sa
présence est clandestine, pas longtemps. Mon commandant, prévenu, loin de se
fâcher ou même de fermer les yeux, me félicite de mon initiative et l’invite à
partager nos repas. La voilà devenue chef de notre popote. Elle va connaître
maintenant beaucoup de mes camarades. Sa grâce la rend sympathique à tous.
Le capitaine
Baudin nous raconte quelques jours plus tard que, voyant le succès de ma
manœuvre, il avait essayé de faire venir sa femme. Malheureusement pour lui,
étant ancien agent du 2ème Bureau, sa correspondance était
rigoureusement soumise à la censure et il n’a réussi qu’à se faire taper sur
les doigts. Pour moi ces quinze jours passés près de ma mère sont déjà presque
une permission, car on ne nous accable pas de service et d’exercice.
Mémoires
de Jean Médard, 1970
(3ème partie : La guerre)