samedi 25 juillet 2015

Sète, 25 juillet 1915 - Mathilde à son fils

Villa de Suède 25 Juillet 1915 


            Ta tante Anna passait hier l’après-midi ici et était là quand je reçus à 6 h du soir ta lettre. J’étais toute heureuse à l’idée de cette course du Revard si tentatrice et que toi, au moins, tu as pu faire. Est-il aimable ce lord anglais et l’avez-vous bien remercié ? Il fallait que ton esprit fut fort absorbé par cette vision de rêve pr oublier l’invitation de ton docteur. Elle a une vraie malchance mais c’est une gaffe fière que la leur, vs ne vous devez plus rien réciproquement. [La lettre à laquelle répond Mathilde manque, sa phrase est du coup peu claire.]. Ne penses-tu pas que je ferais bien de leur écrire avant ton départ ?
            J’ai reçu hier une gentille lettre de [Daniel] Loux que je joins à ma missive et une lettre charmante dans la même enveloppe, de Hélène Mac Aun [?] ! Comme le dit Loux  le monde est bien petit. Je me demande quelle impression a Loux d’Hélène. Elle, me parle de cette exquise famille Loux avec laquelle elle voisine et prend le thé et qui parlait de nous devant elle tout à fait au hasard.
            Ns continuons notre tranquille petite vie et Suzie ne paraissait pas plus ennuyée que nous de l’arrivée de ton camarade[1]. Le seul ennui eut été qu il fut là au moment des couches. On se serait arrangé…
            J’ai été au temple ce matin. C’était plus qu’au dessous. J’en étais attristée car il y avait des hommes dans l’auditoire. Le texte se délayait autour de « la solitude » « La solitude de Jesus ». Ns devons ns isoler pr réfléchir à nos actions à celles des autres et tout était là. Rien de travaillé, bien sûr[2].

Debout : au milieu Henri Ertz, à droite Eugène Beau.
Source : Sébastien Ertz, collection particulière ©

       Henri Ertz (1891-1932), sergent au 4ème BCP et arrière-grand-père de
Sébastien Ertz, était prisonnier dans le même camp qu'Eugène Beau. 
       Son arrière-petit-fils Sébastien, en cherchant la trace des camarades
de captivité de son aïeul, a trouvé la mienne et a eu la gentillesse de me
communiquer cette photo. Qu'il en soit ici vivement remercié.
       Voir aussi la lettre de Mathilde du 7 novembre 1915.
            En passant par chez nous, j’ai trouvé une carte d’un jeune Théodore Guirauden (le fils je crois du pharmacien) qui me dit que, prisonnier de guerre pendant 11 mois avec le sergent Beau [Eugène Beau, cousin germain de Jean] au camp de Konisburg[3], il m’apporte de ses nouvelles qui étaient bonnes lorsqu’il le quitta. J’ai reçu ce matin une lettre de tante Jeanne [Beau] me disant son départ pr Villefort en Lozère ou elle va garder Simone [sa petite-fille, fille de son fils Maurice Beau, mort le 2 mai 1915 aux Dardanelles] souffrante de la dentition. Elle sait qu’un Cettois prisonnier est revenu et me demande d’aller aux informations. Je lui adresse cette carte et irai demain matin voir le jeune Guirauden. Si j’étais libre, j’irai m’installer quelques jours auprès de ta tante, rompre cette solitude qui doit être terrible en ce moment. Peut être est-ce tout le contraire et que l’isolement des siens [?] lui sera salutaire. Elle aura le droit d’être à sa douleur.
            Emilie Laporte a un gros garçon. Je souhaite cela à Suzie, une fillette sera plutôt mal venue, la pauvre ! Comme il me tarde si tu savais que ce moment soit passé et prtant je n’ai point de hâte de voir passer les jours en ce moment. Ne hâte tjours rien tt le temps là-bas est bon pour toi et tu ne t’y ennuies pas c’est l’essentiel.
            Longue lettre de tante Fanny. Annie a vu Edouard [Edouard Houter, son mari] 6 jours près de Paris où elle est encore. Oncle Georges [Benoît] vient de passer huit jours auprès des siens, tante Suzanne l’a écrit à tante Anna et il a donné des conférences très interessantes.
            Mon grand chéri je te quitte pr aller à la poste non sans t’embrasser bien fort.
            Amitiés aux dames qui se souviennent de moi. 


Ta maman qui t’aime bien 


Et ces cheveux les soignes-tu ?

[1] Oscar Larose, selon toute vraisemblance. En effet, dans une lettre du 27 mars 1916, Jean écrira : « Les sergents qui suivent un cours de leur côté étaient avec moi, et je n’ai pas été peu étonné de voir parmi eux Larose, le petit sergent du 166, qui était dans la même salle d’hopital que moi à Aix, que je voulais amener à Cette en permission. Il est maintenant ds un regiment de ma division, et j’aurai peut-être l’occasion de le revoir. »  
[2] Pierre Médard (1860-1900), prédécesseur du pasteur dont Mathilde critique ici (et parfois ailleurs !) le sermon, était très réputé pour ses prédications.  
[3] Une recherche en ligne montre que le nom du camp était Königsbrück.