samedi 7 janvier 2017

Sète, 7 janvier 1917 – Mathilde à son fils

Villa de Suède le 7 Janvier 1917
            Mon bien aimé 

            Bien bonne et réconfortante ta lettre d’hier ; je n’ai qu’à être bien courageuse comme toi et je vais faire tous mon possible pr cela. Cela me parait plus facile ces jours-ci où tu es au repos. Pr le moment je ne suis pas aussi fidèle correspondante. Suzie était hier à Montpellier tout le jour et j’ai eu pas mal à faire avec Na qui a repris la santé de ses plus beaux jours et a par cela une exubérance peu ordinaire. Elle est naturellement sur mes genoux mettant à sac mon buvard, le vieux heureusement. Les lettres encombrent la table et j’ai peine à griffonner ces lignes.
            Les quatre ont été jusqu’au football, il fait un mistral fou et par cela même, le froid est vif.
            Je suis restée avec plaisir pour garder Na espérant t’écrire tranquillement, écrire à Mme Loux [Louise Juliette Grasset, veuve Loux] et puis voilà… Je n’ai pu rien faire que changer Na de culottes.
Source : Archives départementales de l'Hérault en ligne
            Je me suis échappée un instant hier pour aller voir Mme Frisch [née Louise Cormouls] car Mr [Gaston] Frisch[1] est mort avant-hier te l’ai-je dit ? J’ai fait la visite la plus stupide que tu puisses imaginer et je me serais battue au retour, seule dans la nuit sur la corniche déserte. On m’a parlé de tout autre chose que de Mr. F, de Suzie, de notre déménagement, de toi surtout et je ne suis pas arrivée à parler beaucoup de ma sympathie pourtant bien vive.
            Suzie n’a pas pu aller chercher les livres chez le relieur dont j’ai du reste perdu le nom ; peux-tu me le dire et aussi ou il loge et je l’y enverrai à son prochain voyage.
            Je ne sais absolument qu’envoyer à Mme Rolland, mais je vais m’en occuper au plus tôt et surtout lui écrire.
            Tu parlais de boue et de pluie surtout dans la carte qui a précédé ta lettre de hier, si bien que je te croyais encore dans la Somme ; je suis contente bien contente de te sentir au vrai repos surtout si cela doit durer – et que Dieu se manifeste encore dans son amour et sa miséricorde.
            [Daniel] Loux me dit que je dois sûrement désirer que tu fasses ton devoir, tout ton devoir mais j’estime que tu l’as fait pleinement et si j’en suis fière, je crie prtant « Grâce » ai-je tort ?
            Voici dans sa lettre une petite phrase que je retiens. « S’il est bien difficile d’être courageux quand il ne s’agit que de nous-mêmes, n’est-il pas très doux de l’être quand il s’agit de ceux que nous aimons le plus. » Je ne t’envoie pas cette lettre voulant y répondre. Elle est remarquable. Quel beau type d’humanité, comme tu dis de quelques unes de ces âmes débiles.
            Voici Na qui revient, je ne puis plus continuer, ne sachant à qui l’adresser. Elle écrit à Pam et remplit une lettre de jambages. Pam n’est point oublié. Son image est plus que jamais couverte de baisers.
            J’espère que tu as retrouvé tous les camarades et que votre vie de repos bas son plein.
            Surtout repose-toi vraiment et pense à ta maman qui t’aime de toute son âme.

Math P Médard

            Que t’a coûté ton costume ? Est-il assez chaud ?
            T’ai assez dit tout le bonheur que m’a donné ta venue. Combien je vis de souvenir ! 

[1] Gaston Frisch (1853-1917), courtier maritime et sa femme Louise Cormouls (1857-1937) étaient des amis de la paroisse protestante de Sète.