9/1/17
Maman chérie
J’ai reçu cette après-midi ta lettre
du 5 et j’y repond seulement maintenant, c’est-à-dire assez tard. J’ai eu une
journée assez remplie par le service. Exercice le matin, reconnaissance d’un
terrain de tir pour le canon de 37 l’après-midi. Entre temps il a beaucoup
neigé. Le capitaine Candillon est un peu malade. Je ne crois pas que ce soit
grave. Ce soir j’ai retrouvé avec plaisir ma petite chambre, mais le temps
d’allumer mon feu et de faire mes comptes de popote, et il faut se coucher.
Très triste cette mort de Monsieur [Gaston] Frisch. Et Mr Neri [Julien][1]
? Comme tout ce qui a fait le cercle de notre enfance se desagrege petit à
petit. Ça me fait plaisir que [Daniel] Loux t’ait écrit une jolie lettre ;
ça ne m’étonne pas. C’est par ta tendresse que tu es mon soutien. Il ne faut
pas chercher plus loin. Si pourtant. L’idéal serait que tu consentes à me
donner, non pas à me laisser accomplir les devoirs de la vie parceque tu y es
contrainte, mais à me donner à Dieu et au monde pour ces devoirs sans
conditions et sans regrets. Seulement cela c’est le grand sacrifice, il est
plus facile de se donner soi-même que de donner ses bien-aimés. Et je ne t’en
veux pas du tout si tu n’y arrives pas. C’est tellement rare ces renoncements
là.
Très triste de tout ce que tu me dis
de tante Anna.
Je t’embrasse tendrement.
Jean
[1]
Néri Julien (1845-1918) était un négociant sétois. Lui et sa femme, née Jeanne
Jalabert (1854-1927), étaient des amis de Mathilde. Jean l’appelle M. Néri
(Néri était son prénom !) pour le distinguer de ses frères Edouard et
Louis, également membres de la paroisse protestante de Sète avec leurs épouses.