mercredi 11 janvier 2017

Saint-Agnan (Aisne), 11 janvier 1917 – Jean à sa mère

11/1/17
            Maman chérie 

            Je reçois ta bonne lettre du 7. Pendant les quelques jours qui suivent la permission, on peut se suivre de si près, le cadre ne change pas, les compagnons de vie non plus, ce sont les mêmes petites préoccupations, on est au courant de tout.
            Ne t’en fais pas pour ta visite de condoleance aux Frisch. Il faut être soi avant tout. Ne rien dire de plus que ce qu’on sent et ce qu’on pense, exprimer aux gens sa sympathie ou son affection simplement avec le moins de phrases possible.
            Je ne sais plus le nom du relieur à Montpellier. Il demeure place St Roch, derrière l’église St Roch.
            Tu t’étonnes que je parle de boue et de pluie et que nous ne soyons pourtant plus dans la Somme. Hélas ! la boue et la pluie ne sont pas le privilège exclusif de la Somme. Ici ça ne manque pas. Beaucoup moins de boue pourtant, ns ne sommes même plus dans la zone des armées, mais de la pluie et plus souvent de la neige. Cette après-midi j’avais mené la compagnie par une jolie route sur les crêtes voisines encore toutes blanches des neiges des derniers jours, et la neige d’aujourd’hui s’est bientôt mis de la partie. Maintenant elle continue à tomber.
Mais je crois t’avoir dit que j’ai le grand privilège d’avoir une cheminée dans ma chambre, et je ne me fais pas faute d’y brûler du bois. Aussi ces derniers jours ma correspondance marche ferme. J’avais un tel arriéré.
Je suis très heureux de cette lettre de [Daniel] Loux dont tu me parles, mais je pense, contrairement à lui, et je crois te l’avoir dit, qu’il est plus facile d’être courageux pour soi-même que pour les autres quand nous les aimons vraiment. Quant à mon devoir ne dis pas que je l’ai fait « pleinement », le devoir n’est pas quelque chose de limité, en tous cas il n’est limité que par les evenements. Tant que la guerre n’est pas finie, quelle que soit sa durée, les blessures qu’on ait reçu etc, le devoir est d’être à une place en rapport avec ses capacités et sa force physique, quoiqu’il puisse en couter.
Assez bavardé, Maman chérie, je t’embrasse tendrement. 

Jean 

            Dis à Na que Pam l’aime bien.