lundi 2 janvier 2017

2 janvier 1917 - Jean à sa mère

2/1/17
            Maman chérie 

            Je pense que tu es à Cette à l’heure qu’il est, et que tu as repris sans tristesse la vie de tous les jours. Quelles bonnes journées nous avons eues. Elles ne laissent que des souvenirs reconfortants et lumineux. Elles ont été si pleines que je suis parti absolument sans regrets, et que maintenant, je suis sans cafard.
            A Paris j’ai eu quelques heures. Je n’ai pas trouvé Suzanne de Dietrich. Je suis allée voir W. [Wilfred] Monod en courant. Quelques achats surtout un costume en tout point semblable au vieux.
            Dejeuner à la faculté avec beaucoup de Suisses. Mme [Suzanne] Monnier toujours epatante, les enfants grandis. Jean Monnier a été rapatrié d’Allemagne parait-il[1]. Reparti à la dernière bouchée par le train à 2 heures, arrivée à 7 heures là où je pensais.
J’ai diné et couché à l’hotel, le lendemain matin j’ai rejoint le regiment à quelques kilomètres de là. Les débrits du regiment plutôt. Presque tout le monde est en permission, et jusqu’à maintenant on ne fait pas grand-chose. Envoie vite un souvenir à Madame Rolland[2]. Je n’oserai pas aller la voir si jamais je passe par chez elle. N’oublie pas aussi d’aller chercher les livres d’Alice Herrmann la prochaine fois que tu iras à Montpellier.
Pendant qu’il faisait ce temps splendide dans le Midi, ici la pluie ne s’est pas arrêtée, et la boue est toujours envahissante.
Hier je suis parti après dejeuner a la recherche de [René de] Richemond [un cousin éloigné], chemin impossible, temps impossible. J’ai été obligé de m’arrêter à la nuit à deux kil. de tout village. Je suis rentré très tard affamé ereinté. Mais une bonne nuit a reparé tout ça.
Je suis très bien pour ecrire et être seul.
Je vous embrasse tous tendrement. 

Jean

[1] Dans une lettre à venir du 1er février 1917, Jean mentionnera la lecture dans le journal « Le Matin » du témoignage de Jean Monnier sur la vie dans les régions occupées par les Allemands.
[2] Il y a plusieurs Mme Rolland dans l’entourage de Mathilde : une fille de ses amis Julien, et une relation marseillaise de sa sœur Fanny. Mais le 132ème étant cantonné dans l’Aisne lors de l’hiver 17, la formule « si jamais je passe par chez elle », fait penser qu’il peut s’agit de la logeuse de Jean à Chartèves (près de Château-Thierry), que Mathilde avait sûrement rencontrée lors de sa visite clandestine à l’arrière-front en août 1916. (Voir Mathilde chef de popote.)