Villa de Suède le 26 Janvier 1917
Une bien excellente lettre de toi ce soir ; elle
m’a été un vrai réconfort ; elle est datée du 21 et est arrivée en pleine
réunion de dames ; tes tantes Berthe, Jenny [Scheydt], Anna et ses filles
qui ont été bien heureuses d’en avoir leur part. Tu as voulu me dédommager un
peu de cette pénible attente de trois jours. Heureusement tu n’étais pas sur la
ligne de feu. J’ai pu être plus patiente. Quel bonheur de sentir que tu as un
camarade sympathique. Que tu es moins seul, que tu peux être entouré. Que tout
est mieux maintenant pour toi. Que tes hommes sont menés comme tu l’aimes et le
comprends. Su tu savais ce que c’est pour moi cette pensée apaisante.
Je ne voudrais pas que l’exemple G. [K.G. anonymisé
par l’auteur du blog], Bourgeois ait quelque influence sur mon fils chéri, et
qu’il fasse à ses dépens l’expérience du petit vin du père G. Vrai, ne t’a-t-il
pas incommodé ? et qu’est-il arrivé à Bourgeois ?
Quelles sont les choses amusantes dites par ton
commandant en te remettant ton diplôme de citations ? Peut-on enfin
connaître cette dernière ?
J’ai été seule avec Na, cette après-midi, pr recevoir
ces dames, du reste Berthe avait déjeuné avec nous de même le père [Paul] Corteel
qui ayant fait cadeau hier d’un poisson a été invité à venir le manger.
Suzie, la brave, nous a quittées de bonne heure pour
aller comme tous les jours soigner Mme Thomas-Mazel[1]
qui a une congestion pulmonaire. La fille est au bureau, employée, très
inexpérimentée sur les soins à donner aux malades, Suzie va soigner la mère
avec dévouement et cela simplement, sans ostentation, elle est exquise dans ses
sentiments de bonté et de charité. En voyant de près cette misère, ces soins
insuffisants, elle a été en requête d’une aide. Elle s’est adressée pr cela aux
petites sœurs des pauvres ; elle a attendu la supérieure en assistant à
leur messe d’où elle est revenue toute heureuse. Très ravie aussi de son
entretien avec cette femme au grand cœur compatissant qui lui a fait la plus
grande impression. Cette dernière a mis une de ses aides à la disposition de ta
sœur.
Pendant ce temps là, j’ai un peu plus à moi ma petite
et ne m’en plains pas ; elle ns a amusées toute l’après midi par sa
vivacité et ses discours à perte de vue – par ses sottises aussi. On a apporté
pour le thé un royaume[2] où
un petit rat avait touché à l’avance et elle ne montrait aucune contrition de
son acte de gourmandise.
Excuse le décousu de ces lignes. Mr [Paul] Corteel
est encore là ce soir, ces Messieurs parlent beaucoup et il fait trop froid pr
que j’aille écrire ailleurs. Il fait froid, si froid. Ah ! comme je
voudrais que l’hiver soit moins rude lorsque tu partiras.
Je te laisse ce soir pr remettre ces lignes à Mr
[Paul] Corteel qui t’envoie son bon souvenir.
Suzie t’embrasse de tout son cœur. Hugo aussi et moi
alors ! Je t’envoie le meilleur de moi-même. Hélas ce n’est pas
grand-chose mais aime-moi quand même ainsi.