jeudi 7 juin 2018

C .R. Gypse, 7 juin 1918 – Jean à sa mère

7/6/18

Ma chère Maman

Je profite toujours des heures de veille pour t’écrire. Car ici c’est la nuit que nous vivons, c’est la nuit que l’on peut travailler, c’est la nuit que la surveillance a besoin d’être très active. Le jour au contraire on dort. Aujourd’hui je ne me suis levé que pour les repas. On se fait très vite à ce changement d’habitudes.

Le soir à la tombée du jour les travailleurs arrivent, on les met à la tache et on va les voir travailler. Leur officiers les accompagne, on rentre dans l’abris, on taille une petite bavette en buvant un verre de bière.

Source : collections BDIC
D'un capitaine américain à un autre
Celui de Jean, endormi la nuit dans son trou d'obus,
est resté anonyme… à la différence de ce "capitaine
Roberts" plus champêtre…

La nuit dernière [Marcel] Simonin a emmené en patrouille un capitaine américain qui fait un stage dans une Cie voisine et qui aurait voulu voir les boches de plus près. Cette expedition s’est reduit à une embuscade entre les lignes par la nuit froide et le pauvre capitaine avait tellement sommeil qu’il s’est endormi dans son trou d’obus. Les lignes sont très éloignées les unes des autres et le « no man’s land » se prête à des exercices variés pour ceux qui aiment la chasse. Mais il est bien rare qu’on rencontre du Boche. Ça a toujours l’avantage d’aguerir la classe 18.

A propos de « no man’s land » nous baragouinons du franco-américain tout le long du jour, maintenant que nous avons des hôtes étrangers.

Ce matin de bonne heure le colonel [Adrien] Perret et le colonel Hamelin sont venus nous voir. Ce dernier est d’une candeur touchante. Il est étonné de tout et pas difficile à contenter. Il est vrai que la Cie se tient rudement bien. C’est un plaisir de travailler avec de braves types comme ça. Je crois que je n’ai jamais eu une aussi bonne section.

Le matin, il faut voir ça : Les corvées de « jus » arrivent, les caporaux imberbes distribuent ça sagement ; les traits sont un peu tirés par la fatigue d’une nuit de garde, mais ils se detendent vite quand le jus arrive. Quelques uns sortent de leurs abris les yeux bouffis de sommeil, et le soleil distribue une belle lumière dorée sur tout ça.

Aujourd’hui j’ai travaillé en chambre avec Le Gall. J’apprends le morse. Ça rentre assez vite.

Tendrement à toi
Jean

Je reçois regulièrement tes lettres. Te revoilà à Cette. Il me tarde d’avoir des nouvelles du retour.