vendredi 2 décembre 2016

Front de Somme, 2 décembre 1916 – Jean à sa mère

2-12-16
            Maman cherie,

            Aujourd’hui je suis venu travailler à des abris avec quelques hommes de ma section. Nous sommes partis au petit jour. La nuit a été glacée, sous une lune glacée. Nos abris bien clos restent d’ailleurs suffisement chauds.
            Ce matin c’était un invraisemblable paysage de guerre. Cette terre toute spongieuse était devenue toute blanche en durcissant, et tu vois d’ici ce qu’un paysage blanc, naturellement morne, peut avoir de morne quand il a été ravagé par les obus.
            Je me suis installé au fond d’un abri en construction et là j’attends la fin du travail ds la lecture et la correspondance.
            A propos de lecture as-tu reçu les lettres de soldat. En les lisant j’étais honteux de t’écrire si mal. Qu’elles te disent un peu ce que je ne sais pas te dire. Mlle [Léo] Viguier espère pouvoir  en mettre un exemplaire dans le paquet de Noël de chaque étudiant. Je ne sais plus rien de [Albert] Mercier ; je le plainds beaucoup et songe beaucoup à lui.
            Tu me parles de permission dans chaque lettre ; je voudrais bien pouvoir te repondre que ça approche mais helas ! les esperances deçues font beaucoup de mal. Il vaut mieux ne compter sur rien, et prendre le revoir, lorsqu’il arrive, comme un immense privilège et non comme un dû ; surtout, il nous faut apprendre à vivre près l’un de l’autre malgrès l’espace.
            Ah ! je t’assure que je vous regarde vivre bien souvent à travers les vitres de la verenda. Raconte-moi les enfantillages de Na. C’est elle que je vois le moins bien, puisque c’est elle qui se transforme le plus vite.
            Au revoir, maman cherie, toute ma tendresse à vous tous.

Jean