mardi 25 avril 2017

Berzy le Sec, 25 avril 1917 – Jean à sa mère

25/4/1917
            Maman cherie 

            Toujours la même vie et la même situation. Tout le monde est absolument charmant pour moi. Mais j’aimerais vraiment mieux retourner dans ma compagnie au milieu des hommes qui me restent ; et pourtant c’est bien triste de se retrouver dans une compagnie ainsi vidée, avec de nouveaux chefs et de nouveaux aides.
            Je ne prends pas mes nouvelles fonctions très au serieux, mais tu rirais de me voir m’occuper de toute cette cuisine interieure d’un regiment. Je ne suis là que tout à fait temporairement, mais, comme je remplace le capitaine adjoint au colonel, qui est generalement le + ancien du regiment et un vieux militaire, je me sens assez ridicule.
            J’ai perdu pas mal de choses pendant la dernière offensive, en particulier mon caoutchouc, mon rasoir, mes gants, mon revolver, mes jumelles, etc.[1] Je pense que tu n’y attacheras aucune importance, comme moi. C’est deja pas mal de ramener sa peau. Une autre fois je monterai plutôt à l’attaque en bras de chemise.
            Je ne t’ai pas encore parlé de mes nouveaux compagnons. L’Etat Major a été diminué du colonel Theron et de son capitaine adjoint Gabet – tous deux blessés. Le colonel a été remplacé le jour même de l’attaque par le commandant du 1er Baton [Adrien Perret] qui a été nommé Lt-Colonel le surlendemain (entre parenthèse c’est moi qui lui ai annoncé sa nomination).
            Le Lt Colonel [Adrien] Perret est un ancien cavalier, passé sur sa demande dans l’infanterie. C’est lui qui a eu la drole d’idée de me prendre comme adjoint. Il est un peu vieux, très gentil.
            Telle[2], le s/s lieut porte-drapeau, avec qui je travaille et qui fait tout le travail. Le Gall, le téléphoniste, type tout à fait sympathique et agreable.
            Deconinck, le pionnier, une vieille connaissance. Il a été s/lieut à la 5e au debut de la Somme. Très gentil aussi.
            [Pierre] Péchenart, l’off. de renseignement, un prêtre. Je partage sa chambre. Nous faisons de l’union sacrée. C’est vraiment un chic type.
            Labadie38, l’off. de detail, que l’on voit peu parcequ’il travaille beaucoup. 

25 Mercredi soir. 

            Enfin le capitaine adjoint est designé. Je vais probablement rejoindre mon bataillon. Cette après-midi l’aumonier de ma division, Mr [Louis] Guilliny[3] est venu me voir. Un homme deja d’un certain age, tête sympathique et bonne. Nous avons fait le tour des patelins du regiment à la recherche des protestants. Nous espérons pouvoir avoir un culte dimanche.
            Il faut que ma lettre parte.
Tendrement 

Jean

[1] Aurait-il aussi perdu quelques lettres, ce qui expliquerait l’absence de lettres de Mathilde fin avril ?
[2] Jean écrit « Tell » et « Labadi » mais le JMO note « Telle » et « Labadie ». Comme d’habitude, c’est l’orthographe du JMO que je privilégie.
[3] Jean écrit la plupart du temps Guiliny. Il s’agit de Louis Guilliny (1871- ?).