Le 16 au matin, à l’heure H nous sommes dans la
tranchée de départ.
Source : JMO du 132ème R.I. – 16 avril 1917 (6h00) |
Quand nous nous élançons hors des tranchées notre
terrain d’attaque est balayé par les balles.
Source : JMO du 132ème R.I. – 16 avril 1917 (6h10) |
Je retrouve mon colonel [Théron], très ennuyé :
« Au
fond de ce trou balayé par les mitrailleuses il m’est impossible de commander
mon régiment, de communiquer ni avant l’avant, ni avec l’arrière. Retournons à
la tranchée de départ ».
Retraite catastrophique ! Le colonel [Théron] reçoit
une balle dans la cuisse, le capitaine Gabet dans la mâchoire, [Lucien] Soula
est tué ainsi que l’officier de liaison d’artillerie. Ce sont les plus
jeunes : Deconinck, [Pierre] Péchenart, Le Gall et moi qui s’en tirent,
sans doute parce que nous sommes plus agiles et plus rapides pour sauter d’un
entonnoir dans un autre ou ramper sous les barbelés. Mais nous devons encore
faire des va-et-vient pour porter secours aux blessés.
Les nouvelles sont consternantes : notre
progression a été rapidement stoppée et nos pertes sont lourdes. Au 2ème
bataillon notre cher commandant [Antoine] Rivals a été tué, ainsi que le capitaine [René]
Candillon et bien d’autres.
Source : JMO du 132ème R.I. – 16 avril 1917 (6h20) |
Source : JMO du 132ème R.I. – 16 avril 1917 (6h40) |
Le 2ème bataillon une fois de plus a été
décimé. Au bout d’une demi-heure le régiment se trouve presque sans officiers
et sans commandement.
Source : JMO du 132ème R.I. – 16 avril 1917 (6h50) |
Source : JMO du 132ème R.I. – 16 avril 1917 (9h30) |
Le colonel Maurel qui la commande n’a ni la bonté, ni
le calme, ni la sagesse du colonel Théron. Il a laissé une triste réputation au
132 qu’il a longtemps commandé : aux Eparges on l’avait surnommé « la
Torpille » et le surnom lui est resté. Après le sanglant échec de notre
attaque, il est d’une humeur massacrante.
Au moment où j’arrive il se met à table avec ses
officiers d’Etat-major. L’idée de m’offrir à partager son repas ne lui vient
même pas à l’esprit. Son omelette est pourtant très appétissante et j’ai
abandonné mes musettes avec mes provisions dans la tranchée allemande pour
avoir les mouvements plus libres. Il est vrai que je suis peu présentable. J’ai
laissé dans les barbelés la moitié de ma capote. Ce qui en reste est maculé du
sang des blessés que j’ai pu aider.
Source : JMO du 132ème R.I. – 16 avril 1917 (12h00) |
L’après-midi le commandant [Adrien] Perret me demande
d’essayer de préciser sur la carte la position actuelle de notre première
ligne. Une ou deux pièces d’artillerie se sont mises à tirer sans nous faire
beaucoup de mal, par contre les mitrailleuses
se sont calmées. Sans doute
ménagent-elles leurs munitions car je puis remplir ma mission heureusement et
parcourir tout le front avancé du régiment sans être trop inquiété. Je puis
fournir sur un plan directeur un relevé complet de la position de nos troupes,
ce qui me vaudra une citation à l’ordre de l’Armée et, plus tard, la Légion
d’Honneur.
Citation Jean Médard |
Légion d'Honneur Jean Médard |
Mémoires
de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)
Source : collections BDIC
(Cette photo est prise dans une zone un peu à l'ouest de celle où Jean et ses camarades ont combattu, sans doute dans la
zone d'action du 106ème R.I.) |
Le 132ème
régiment d’infanterie.
Le 16 avril, le 132e
doit attaquer de la ferme de Metz en direction de la ferme Froidmont.
Le départ pour l’assaut, le 16 à 6
heures, offre un admirable spectacle.
En première ligne, le 2e
bataillon à droite [donc le long du canal], le 3e bataillon à gauche, en réserve le 1er
bataillon [derrière le 2e].
Les vagues sortent dans un ordre
parfait avec le même calme qu’à la manœuvre. Mais après le franchissement de
la tranchée d’Orsova, première ligne allemande, à 6 heures 10 un crépitement
de mitrailleuses part de toutes les directions.
Les mitrailleuses ennemies, que
n’avaient pas fait taire notre artillerie, accomplissent leur terrible œuvre
de mort.
Le 2e bataillon est
entièrement décimé, le Chef de bataillon Commandant Rivals, tous les
commandants de compagnie tombent pour ne plus se relever.
Les débris de ce bataillon sans
chefs se cramponnent néanmoins au terrain.
A sa gauche, le 3e
bataillon, bien que décimé lui aussi, progresse lentement.
Il a fallu relever les épaves du 2e
bataillon pendant la nuit par le 1er bataillon.
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[1] Selon toute vraisemblance, Jean a eu connaissance de ces informations détaillées sur ce qui est arrivé à Roger de La Morinerie lorsqu’il est allé lui rendre visite à l’hôpital le 20 avril.
[2] Le texte intitulé « 1 contre 8. Le 132ème régiment d’infanterie. 1914 à Février 1919 » a été publié en Alsace, à Bischwiller où le 132ème a cantonné au début de 1919 (ne pas confondre avec Bitschwiller-les-Thann, commune près de laquelle il cantonnait de l'été 1917 jusqu'au début de 1918). Ce document est préfacé par le colonel Adrien Perret. Bien qu’il soit anonyme, il est évident qu’il a été écrit, sinon par le colonel lui-même, du moins par un membre de son très proche entourage. Le texte complet de ce document se trouve, entre autres, sur le site de la BDIC, ici.