samedi 4 août 2018

Luchy, 4 août 1918 – Jean à sa mère

4-8-18

Ma chère Maman

Je continue à recevoir, par paquets, tes bonnes lettres ; aujourd’hui celles de 29 et 30. Nous n’avons toujours pas bougé. Nous faisons de l’instruction pour le moment, et nous en faisons sans rien nous casser naturellement. Je m’attache à faire apprendre le morse à toutes mes équipes, car la radio-télégraphie prendra, je crois, de plus en plus d’importance. Ce qu’il y a d’agréable dans mes fonctions présentes c’est que j’ai des types choisis, intelligents, qui ne demandent qu’à apprendre davantage. Ils me sont très reconnaissants de leur avoir donné un ballon de foot-ball, et jouent beaucoup. Je n’ai pas encore eu le moindre ennui avec eux.

Source : collections BDIC

Mes compagnons de table et de travail, je te les ai présenté presque tous.

Le Colonel [Adrien Perret], redevient de bon poil ; mais il a été vraiment insupportable pendant la periode qui a précédé l’embarquement. C’est le grand inconvenient de ma nouvelle situation : subir tous ces hauts et bas d’humeur.

Son adjoint le capitaine Lejeune que nous appelons même parfois Popol, est un excellent type. Il dit parfois un peu brutalement ce qu’il pense, mais au moins on sait ce qu’il pense. Il est d’ailleurs très populaire dans tous le regiment.

Le médecin chef [Louis] Jacquinot, un marocain maigre et moustachu qui parle beaucoup d’Afrique et de femmes, au demeurant un très bon type.

Deconinck, le pionnier, un ancien de la 5me que j’ai retrouvé à l’état major du régiment ; cœur d’artichaut mais cœur d’or et excellent camarade.

Labadie, le payeur, serviable et timide.

Pécheux l’o’ff. d’approvisionnement, que nous appelons le « vieux soldat » et qui l’est un peu trop.

Tel, le porte-drapeau.

Janvrin, le potard, qui cache passablement de malice sous un teint blafard et une barbe rousse.

[Victor] Garnier, le chef de musique, « chefus musicorum, princeps canardorum » (chef des musiciens, prince des canards), comme dit Péchenart, un type jovial avec un fort accent du midi, bien qu’il soit de la Croix-Rousse.

Enfin [Pierre] Péchenart lui-même, officier de renseignement ; un prêtre qui n’a pas l’empreinte, débordant de vie, d’entrain et de verve. Je l’admire bien. Nous sommes le plus souvent d’accord. Avant-hier nous nous sommes trouvé en harmonie parfaite pour reprocher à nos églises reciproques d’être terriblement bourgeoises.

Je suis peiné de vous savoir si peu confortablement à la Salvetat.

Tendrement.
Jean