lundi 20 octobre 2014

Sète, 20 octobre 1914 – Mathilde à son fils

Cette 20 octobre 1914
Mon chéri 

            Véritable accalmie dans mes angoisses en effet par ta bonne lettre de ce matin. Mais qu’est-ce que deux ou trois semaines de répit devant les mois qui s’allongent indéfiniment sans apporter de changement ! Je veux prtant être reconnaissante. Je m’inquiète cependant de te savoir sur la paille et si peu couvert avec des nuits aussi fraîches. Prquoi ne veux-tu pas de couverture que tu laisserais derrière toi ? Je n’ose pas l’envoyer dans la crainte de te contrarier mais elle est prête à partir si tu dis un mot. C’est une couverture de voyage qui est sans valeur. Tante Anna a fait un passe montagne pr toi ; mais ce soir Suzie m’en a apporté un à Hugo en laine des Pyrénées encore plus chaud. Je t’enverrai tout cela petit à petit ; j’attends un peu des occasions, sans cela ce sera par poste. Outre le tricot et caleçon, j’achèterai un chandaï et m’occuperai aussi d’un vêtement en caoutchouc. Mais je veux savoir ce qui est autorisé. Celui de ton père n’existe plus, je l’ai donné dans le temps à Jaurin et je le regrette.
            On envoie maintenant aux soldats sur le front de grands carrés de caoutchouc avec un trou au milieu pour passer la tête en cas de pluie ; le soir on étend cela sous son corps pr intercepter l’humidité. 
            Je suis aussi bien tranquillisée de savoir cette vaccination faite. Ecris moi bien vite pour me dire comment tu la supportes. Alphonsine est venue m’apporter de tes nouvelles. Ils ne se sont pas rendus à ton invitation parait-il parce que Gaston a été fatigué tout le temps. La pauvre petite femme avait le cœur bien gros. Ses beaux parents lui ont fait des misères ; je crois que cela ne va pas marcher du tout avec eux.
            Ns avons eu aussi des trombes d’eau. C’était effrayant. Les allées et venues du Lazaret ont été rendues difficiles. J’ai de plus en plus à faire surtout depuis que j’ai la salle des fiévreux ; ma lingerie est négligée et beaucoup de choses avec. Je suis comme ce soir bien découragée de l’Hopital. Tant de choses clochent nos malades ne manquent pas de soins généraux, mais les soins particuliers sont lamentables et si on entre dans la voie d’y remédier on se heurte à des difficultés et une peine insurmontables ! Je suis vannée, à bout de forces. La tâche est trop vaste et trop lourde. Nous traversons une série noire. Nous avons perdu un pauvre enfant de 21 ans qui avait trop de mal à la jambe. Ce matin un pauvre noir. Demain ce sera un thyphique qui a rechûté et qui est mourant[1]. Mon petit fiévreux de Sedan est très frappé et j’ai grand mal avec lui. Il crie famine et a trop de fièvre pour pouvoir manger. Je suis allée auprès de lui aussi Dimanche après midi pr lui mettre un cataplasme.

Source : ebay
            A une heure et demie j’ai pu rejoindre ta sœur chez elle ou on m’attendait J’ai trouvé là les Pont et Karine [Karin Möller] c’est prquoi je n’ai pu t’écrire ; le soir je suis si fatiguée ce serait prtant si bon de passer avec toi mes soirées elles sont bien solitaires sais-tu et je pense avec le cœur affreusement serré que l’an passé à pareille epoque je t’avais là ; il n’était pas question de guerre et je n’étais pas heureuse !!!!! pour des misères… des riens qui me font aujourd’hui me mépriser…… Je te quitte mon cher aimé pr aller au lit car je tombe de sommeil.  Malgré cela comme je te le cèderais volontiers !!!
            Suzie et Hugo sont bien gentils et ont l’air bien satisfaits l’un de l’autre ils sont très affectueux. Mon chéri je pense à toi avec une immense tendresse pas n’est besoin de le dire n’est ce pas ? Je suis si contente que tu aies de gentils camarades et une chambre !!
            Je t’apprendrai aussi une mort qui t’attristera celle de Roger Castelnau fils du pasteur. Je n’ai aucun détail mais c’est navrant.
            T’ai je dit que Robert [Leenhardt] était sans nul doute prisonnier.
            Mille baisers mon cheri de ta maman
            Alice se fait à ton sujet un souci terrible. Elle t’embrasse bien. Ta sœur et ton beau-frère aussi encore un baiser de ta maman

[1] Les archives départementales de l’Hérault en ligne permettent de donner à ces trois morts une identité : Justin Delcruzel (1893-1914), le « pauvre enfant de 21 ans », Bahi Diaye (1889-1914), le « pauvre noir », Louis Ally (1890-1914), le typhique mourant. Merci à Alain Stocky qui a fait cette découverte en octobre 2016.