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"Les deux filles de Lloyd George à Bar-le-Duc
avant le départ pour Verdun.
Entre Lady Hankey et Mademoiselle Arbel"
(Légende de la main de Jean au dos de la photo)
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Le grand événement de cette période, c’est la visite de Lloyd George et de sa suite [17 et 18 juin 1919].
Il est entouré de ses deux filles, de son attaché militaire, Sir Hankey secrétaire du conseil des quatre et de Lady Hankey, de son ami Sir Riddell et de sa jolie secrétaire, la « diplomatic girl » comme on l’appelle dans les couloirs de la conférence.
Je l’accueille à la gare de Reims, où de grosses Buick l’ont précédé. Pour commencer, le cardinal Luçon lui fait les hommages de sa cathédrale dévastée.
Puis nous nous arrêtons au fort de la Pompelle et en face des monts de Champagne. J’ai préparé un petit topo pour expliquer sur place le développement de la deuxième bataille de la Marne. Les autos nous conduisent le soir dîner et coucher à Bar-le-Duc.
Lloyd George m’a fait monter dans sa voiture, à côté de lui. Il a l’esprit très éveillé, est très observateur et ne cesse de me poser des questions. Pas seulement sur la guerre, mais sur moi-même. Il est très intéressé quand il sait que je suis « iouguenot » et étudiant en théologie.
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Jean mentionne la présence de George Riddell dans l'entourage de Lloyd George.
George Riddell parle de Jean dans son livre, publié en 1933, Lord Riddell's Intimate Diary of the Peace Conference and after.
Source : archives.org |
Dîner, coucher et breakfast à Bar-le-Duc. Le lendemain c’est le cicérone officiel, le général Valentin, qui nous fait visiter Verdun, mais devant Vaux, il veut savoir où j’étais, ce que je faisais, ce que je pensais.
Nous déjeunons dans la citadelle. Au dessert, il donne libre cours à son éloquence, qui est grande et il termine son toast par une apologie de la France : « burned France, destroyed France, glorious France ».
Quand il sait que je dois visiter l’Angleterre et l’Ecosse l’automne suivant il m’invite à venir le voir à Downing Street. On ne peut pas être plus amical. Après un goûter offert au quartier général du 6ème corps par le Général Duport le premier ministre et le petit lieutenant se séparent comme de vieux amis.
Mémoires de Jean Médard,
1970 (3
ème partie,
La guerre
)
...quelques mois plus tard
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… déjeuner au 10 Downing street
[En septembre 1919, Jean et Alice font leur voyage de noces en Ecosse, car Jean doit ensuite, fin septembre et début octobre, rencontrer en Angleterre plusieurs personnalités du « Student Christian Movement ».]
Avant une visite à Oxford, où nous sommes invités par un ménage de professeurs, je vais rendre visite à Sir George Riddell, un des compagnons de Lloyd George à Verdun, directeur des « News of the World », qui devait être plus tard Ministre des Affaires Etrangères*. Je le manque. Il nous invite à prendre le thé avec lui le lendemain au Carlton, où il nous reçoit avec chaleur.
Il me demande pourquoi je ne suis pas allé voir le premier ministre. A vrai dire, je n’avais vu dans l’invitation de ce dernier en Juin qu’une aimable formule de politesse. Je me trompais. Le lendemain de notre arrivée à Oxford nous recevons une lettre de Riddell : « The Prime Minister would like you and Madame Médard to lunch with him at 10 Downing Street tomorrow Tuesday, at 1.45 o’clock. Perhaps you will send a note to his secretary, Mr. J. T. Davies saying whether you are able to go or not. With kindest regards. Sincerely yours. George A. Riddell”.
Il faut croire que les Gallois ne sont pas des Gascons puisque Lloyd George alerté s’est débrouillé pour nous relancer jusqu’à Oxford. Il vaut bien la peine d’écourter notre séjour à Oxford pour pénétrer à Downing Street.
Le repas et la réception ne manquaient en effet pas d’intérêt. La famille du premier Ministre est en vacances et, après une réunion du conseil, il a invité les membres du cabinet à déjeuner avec nous. Nous retrouvons Sir Hankey, nous faisons la connaissance de Lord Milner, un vieux tory très distingué, ministre de la guerre* et d’Eric Geddes, ministre du commerce et des transports, d’autres dont j’ai oublié le nom et les fonctions. Eric Geddes ne nous parait pas appartenir à « l’establishment » comme la plupart de ses confrères. Mais quand on parle de la grève qui vient de se terminer, Lloyd George nous le désigne : « This is the man who won the strike ».
Nous évoquons le souvenir de notre randonnée en Champagne et à Verdun. La conversation nous amène à parler un moment des chefs de guerre. Lloyd Georges ne semble pas manifester une sympathie particulière pour Foch ou pour Pétain. Nous découvrons que c’est à Nivelle qu’allaient ses préférences et qu’il a regretté son limogeage.
Après le déjeuner il nous fait visiter la salle du conseil qui n’a rien de somptueux et où s’étalent deux grandes cartes constellées de petits drapeaux. Ces drapeaux marquent la première ligne d’occupation en Allemagne sur l’autre le front russe avec la position des armées russes blanches de Wrangel et Denikine. « Vous voyez, ils avancent » nous dit-il sans grande conviction.
Il essaye aussi de nous faire admirer un immense tableau représentant la conquête d’une tranchée allemande par une troupe de Tommys, mais il nous est difficile de manifester le moindre enthousiasme pour cet horrible navet.
Mémoires de Jean Médard,
1970 (3
ème partie,
La guerre
)
* Erreurs de Jean : George Riddell n’a pas été ministre des affaires
étrangères. Lord Milner, quant à lui, était un membre important du War Cabinet, mais il n’était pas ministre de la Guerre.