mercredi 1 février 2017

Sète, 1er février 1917 – Mathilde à Jean

Villa de Suède le 1er Février 1917
            Mon bien aimé 

            Un peu difficilement je vais être à toi ce soir. [Mot illisible] Mr [Paul] Corteel cause avec Suzie, il est venu rompre notre tête à tête, Hugo dînant en ville avec son ami Suédois et leur conversation me gêne.
            Ns n’avons pu recevoir l’ami d’Hugo ns commençons à manquer un peu de tout. Mais tout ne vient pas de la guerre. Il gèle à pierre fendre, l’eau du compteur de gaz est gelée, donc pas de gaz, pas d’eau non plus, les tuyaux sont gelés ; un chauffage difficile, il faut avoir du galon pr avoir le charbon nécessaire. Aussi sommes-nous dans le noir physiquement et moralement.
            Cet échange maigre ns parait triste, il fait froid, Na a froid et se lamente misérablement. Nous sommes assez misérables tristes et nous avons tort car ns pourrions être directement malheureux.
            J’ai été rassérénée ce soir en recevant tes deux lettres des 27 et 29. Je sens que tu me dis bien la vérité en m’assurant que tu n’as pas de fièvre, mais enfin tu es encore au lit assez souffrant et tout en me réjouissant que tu sois [mot illisible] par ce froid je m’inquiète un peu et je rêve de ces moments que je pourrais passer à ton chevet à me donner la joie et la douceur de te soigner. As-tu de la lecture ? et n’as-tu pas le désir de quelque friandise, quelque douceur que j’enverrais bien un peu tardivement mais enfin !!
            J’ai été bien intéressée par la nouvelle des fiançailles de [Robert] Pont. Quelle est donc cette histoire et cette jeune fille ? de quel Doumergue est-elle la fille et qu’est ce qui la seduite ? Je suis étonnée que Mme Pont ne m’ait pas communiqué est il exposé ce brave Robert.
            Ns sommes sorties un moment ce soir pr aller choisir des tapisseries. J’espère que celle de ta chambre te plaira ; puis ns sommes vite remontées pour retrouver Na qui n’est toujours pas très bien et fort inquiète ; elle veut sans cesse être portée et sa mère et moi sommes souvent lasses. Suzie est du reste fort dolente, vite fatiguée et très grippée.
            Hugo rentre et ns raconte ce que les Allemands annoncent aux neutres ; ils vont avec leurs sous marins faire le blocus autour de notre pays et de l’Angleterre, qu’allons-nous voir encore mon cher enfant et qu’allons-nous devenir ? C’est atrocement angoissant. Je désire le printemps et j’ai peur de le voir venir.
            J’ai encore des nouvelles actions de graces à rendre à notre Père. J’ai failli hier être brûlée vive en voulant faire du feu de bois dans la chambre d’Alice. Je ne savais pas que la cheminée était bouchée par un sac de paille, la flamme a été refoulée, mes cheveux, mes cils, sourcils ont été brûlées, j’ai cru aussi que la cheminée était en feu.
            Heureusement Hugo venait de rentrer ; affolé d’être sans eau, il a pu néanmoins se rendre maître du feu. Vraiment je ne sais pas ce que j’écris et je dois terminer mon bavardage en t’embrassant mon bien aimé avec ma plus vive tendresse. Que Dieu te guérisse et te garde.
            Avec toi de toute ma pensée. 

Ta mère
Math P Médard 

            Toujours pas reçu tes photos, c’est fort.
            J’ai écrit à [Daniel] Loux