Villa de Suède ce 11 février 1917
Mon bien aimé
J’ai eu enfin ce matin ta bonne
lettre du 5. Je l’ai attendue quatre jours mais elle est bien intéressante A
mon tour de te faire attendre ; cela ns arrive quelques fois maintenant.
Je me suis réservé la soirée la soirée pour t’écrire et voilà que ces Messieurs
ayant eu à aller à la gare pr accompagner Hugo sont partis avant que je l’ai
fait, tu m’en vois toute navrée. Que faire ?
Après déjeuner la smala est sortie
pr se promener et promener Elna qui était fière tu peux le dire ! et je
suis vite partie de mon côté voir Mme Auriol que je néglige
abominablement. Il y avait là Alida et Berthe[1], elles m’ont retenue plus que de raison. Je suis
remonté à six heures. On jouait aux cartes, la garde d’Elna m’a été dévolue, je
l’ai couché, ainsi je n’ai pu prendre la plume plus tôt.
Le temps s’est considérablement
radouci. S’il en pouvait être ainsi là-bas ! Ns ns plaignions lorsque ns
avons – 5. Comment pouvez-vous supporter une température de – 16 et encore aux
tranchées ce doit être bien plus dur. Je comprends que ton ballon ait du
succès ; tu es bien brave de gâter un peu tes pauvres poilus.
Tous ces changements de place ne me
disent rien qui vaille et toi qu’en penses-tu ? As-tu pu retourner à Paris
aujourd’hui et n’est-ce pas en fraude ?
Je t’assure que ns ns sommes réjouis
des nouvelles de l’autre côté de l’Atlantique ! Le geste s’arrêterait-il
là, c’est bien tout de même. Mais il serait précieux que les préparatifs
prennent corps et j’ai bien le sentiment que tout cela est le commencement de
la fin ! Mais encore que de tourments et de larmes ! de la prudence
mon bien aimé, par amour pour ta mère ! si la prudence t’est chose
possible je te supplie.
Nous avons eu ce matin une assez bonne prédication de Mr
[Jules] Brun, il a terminé en exhortant les civils à la patience, à
l’endurance. Il est parti contre ceux qui gémissent et se lamentent sur les
petits sacrifices qui commencent à être imposés. Qu’est ce donc en effet en
regard des souffrances et des privations de ceux qui ns défendent ? et eux
le supportent stoïquement. Pourvu que les civils tiennent a-t-il dit avec un
tel inconnu à [mot illisible] les poilus tiendront toujours.
Tu n’es sûrement pas assez couvert mon enfant chéri et
cette pensée me hante la nuit et le jour et dans ta ferme as-tu eu un lit et
des couvertures ? de cela tu ne dis rien.
Je t’envoie à travers la distance tout mon amour qui
est grand.
Ta maman
[1]
Alida Auriol ép. Duclaux (1872-1964) et Berthe Auriol ép. Almairac (1879-1979),
étaient les filles de « Mme Auriol » née Louise Winberg
(1841-1929), veuve de Léon Auriol (1837-1903). Toutes trois membres de la
paroisse protestante de Sète et amies de Mathilde.