Le 14 [octobre]
nous sommes relevés. Depuis plusieurs semaines nous sommes tous couverts de
poux, depuis le plus humble soldat jusqu’au colonel. Le 15, comme nous
cantonnons aux environs de Bray-sur-Somme, je profite de la proximité de la rivière,
je prends un bain malgré le froid dans un endroit écarté, je sacrifie tout le
linge que je porte et puis me débarrasser pour un temps de cette faune
répugnante.
Source : collections BDIC |
Il semble que
maintenant, après avoir subi de rudes pertes, nous puissions espérer de nouveau
une période de vrai repos et de permission. Le régiment part en effet pour
Formerie, aux confins de la Normandie, mais par malheur je suis désigné pour
suivre un cours de canon de 37 et dois rester avec sept ou huit camarades à
Cerisy-Gailly, dans cette région d’arrière-front où l’on n’est pas bombardé,
mais où l’activité militaire a tout envahi, où il n’est pas question de trouver
une chambre et un lit. Au diable le canon de 37 ! Nous sommes cantonnés
dans un baraquement où chaque officier a sa petite cellule.
Une nuit nous
entendons des cris impressionnants. C’est un des lieutenants du régiment, qui
est en proie à une crise étrange. Le lendemain il me fait tristement la
confidence : « Je suis épileptique. J’aurais naturellement pu me
faire réformer, mais la guerre est une belle occasion pour moi de me faire tuer
proprement. Mes sœurs risqueraient de ne jamais trouver de mari et moi de
sombrer un jour dans l’idiotie. Il vaut mieux que je disparaisse. Je n’ai pas
besoin de chercher la mort. Elle saura bien me trouver toute seule ». Il
devait en effet être tué quelques mois plus tard au Chemin des Dames.
Heureusement
pendant cette période nous pouvons nous échapper souvent jusqu’à Amiens et même
à Paris.
Mémoires
de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)