mardi 11 octobre 2016

Marseille, 11 octobre 1916 – Mathilde à son fils

Villa Svéa ce 11 Octobre 1916
            Mon grand aimé           

            Ce matin tes deux cartes des 6 et 9. J’étais profondément heureuse car j’avais lu hier jusqu’à minuit sur la reprise de l’offensive (front français) depuis le 7 prise de cote…. et je me demandais si tu n’étais pas à cet assaut.
            Tu me dis que vous n’êtes plus là pour longtemps et cela me donne un peu de courage.  Avec toi je suis triste de ce changement à la 6ème car je sais combien attaché tu étais à tes hommes. Je pense aussi avec sympathie à leur peine à eux. Mais peut être a-t-on jugé que ton influence, ton action sur eux ayant porté, il fallait t’envoyer ailleurs… faire du bien toi qui porte avec toi la paix, la soumission, la confiance, la paix surtout et j’ai l’espérance que Dieu t’accompagnera la et te protègera comme il l’a fait à la 5ème néanmoins je suis triste de ta tristesse.
            Tu n’as donc pas encore reçu mon paquet ni mon manteau ? Ce qu’il me tarde de le savoir ! et mes lettres (si peu en rapport avec ce que je sens et voudrais t’exprimer) les reçois-tu tous les jours ? car j’écris un mot tous les jours.
            Enfin j’ai fait hier cette visite que j’appréhendais si fort. Je suis restée 2 heures auprès de cette pauvre amie et suis sortie de là plus forte que je n’y étais entrée.
            Tante Fanny m’avait parlé de l’exterieur de la femme (une Impératrice portant fièrement sa belle tête jeune aux cheveux tous blancs) j’étais un peu intimidée et bien émue. J’étais attendue et elle m’a mise sur son cœur et m’a longuement embrassée en m’appelant sa sœur. J’étais si ébranlée que je ne pouvais plus rien dire – mais elle se possède, elle est si forte si sereine que j’ai taché de me ressaisir. Il faut être aussi forte et courageuse qu’eux m’a-t-elle dit mais on sent que l’abime s’est ouvert devant elle. Elle est théosophe de sorte que j’ai été embarrassée pr lui parler de la seule chose « necessaire » de l’amour de Dieu qui console toutes les afflictions. Mais elle m’a dit qu’une force pr elle très grande était de sentir intensément l’âme de son bien aimé Edouard unie à la sienne – plus encore dans la mort que dans la vie car la vie la lui aurait prise un peu.
            Elle m’a beaucoup demandé et beaucoup questionnée sur notre rencontre à Chartèves. Etait-il triste lui toujours si gai, si entrain ? J’ai du lui dire que je ne l’avais pas vu très gai ; mais si aimable, si gentil, si beau me parlant d’elle avec tant d’affection et d’admiration et cela lui a tant fait plaisir.
            Son ami intime à lui lui a dit que Gétaz avait le sentiment qu’il ne reviendrait pas. T’a-t-il exprimé ce sentiment ? Elle m’a montré des tas et des tas de photos où tu es sur quelques unes et que je n’ai pas. Elle me prie de te dire sa reconnaissance pour tout ce que tu as fait ; si émue en sachant que tu avais été sur cette tombe. Elle attend ta lettre très anxieusement. Sur certaines de ces photos il y a les dames parisiennes rencontrées à Chartèves et sur lesquelles on taquinait ce pauvre Gétaz.
            Le père est effondré ; et sa femme le plaind profondément. Il y avait eu de telles luttes m’a t elle dit. Il ne voulait pas qu Edouard fut français et son fils aimait tellement la France qu’il a du causer à son père cette douleur d’opter et je suis sûre que s’il s’était senti mourir, il aurait été heureux de donner sa vie pour elle.
            Elle m’a dit hier des choses que je voudrais te repeter. Lorsqu’il était en danger, elle le sentait et lui avait dit : Dans ce moment-là « pense à moi » tu me sentiras près de toi. (Comme je voudrais que tu puisses me sentir près de toi).
            Mr Bruguière a été le lui dire le Lundi soir après souper lorsque je l’ai vu entrer m a-t-elle dit j’ai établi une relation entre vous et lui et j’ai compris ! Ns étions entrain de relire la dernière lettre d’Edouard pendant qu’il était en réserve dans un bois.
            Il parait que vs avez été dans un village ayant pr nom « Marseille » ? Il me tarde maintenant que tu puisses écrire à cette pauvre mère, mais je te plains, mon bien chéri d’avoir à remplir ce devoir. Elle sait que son fils t aimait beaucoup. Je pense y retourner dans quelques jours, mais, dès que je te saurai « au repos » je retournerai à Cette où j’ai hâte de me retrouver avec les tout miens.
            Je porte suspendu à mon cou une croix huguenote toute semblable à la tienne et cela m’est doux.
            Je te quitte pour aller en ville, je profite pr faire des courses des jours où tu écris, j’ai des ailes que notre Père te soutienne et te garde.
            Je t’envoie des millions de baisers. 

Ta mère 

             Ici chacun t’envoie ses tendresses. Nous vivons tous bien que de tes maux moi sans cesse [?]
De tendres bien tendres baisers de ta mère
            Tante Fanny va mieux mais ses forces ne reviennent pas, elle est découragée.
Un record, je reçois ce soir ta carte du 8. Merci mon bien aimé.