Ma chère Maman
J’entend d’ici le soupir que tu dois pousser. Quel enorme soulagement ce 11 novembre apporte au monde entier, et surtout aux femmes qui avaient un être cher sur le front. Je dois dire que pour les combattants c’est un fameux soulagement aussi.
Hier nous avons encore changé de cantonnement. Nous sommes arrivés par un beau clair de lune dans un village delicieux. Je puis bien te dire le nom maintenant que la censure postale ne doit plus exister – c’est Ville-sur-Illon près de Mirecourt.
Ce matin après une bonne nuit ds des draps – ce qui ne m’était pas arrivé depuis ma permission – nous avons trouvé le village sous pression. Sans le savoir, on attendait quelque chose. Puis un bruit s’est glissé, qui a pris corps peu à peu, puis les cloches se sont mises à sonner, les fenêtres se sont garnies de drapeaux, et des cris de joie sont montés de partout. « C’est vrai mon lieutenant ? » « Eh oui mon vieux c’est vrai. »
Après le déjeuner la musique a joué ds les rues et a porté l’allégresse à son comble. Je dois dire d’ailleurs que le pinard et la bière qui coulaient a flots y contribuaient pour leur part. C’est la seule tache de la journée. Les poilus sont tellement contents, il y a si longtemps qu’ils n’avaient pas retrouvé de villages et de civils, enfin ils ont fini par accumuler de telles sommes pendant la dernière periode de disette, que ce soir il y a du vent ds les voiles. Ce n’est pas grave d’ailleurs. Ils ont le vin gai et sympathique.
Je te quitte pour la retraite aux flambeaux.
Inutile de te dire que ma joie – très grande – n’est pas sans mélange – et que je pense plus que jamais à ceux qui ne sont plus là. Cette joie-là n’est pas faite seulement d’un sentiment de soulagement, elle est faite d’esperance.