Mathilde à Jean Médard, 15 novembre 1918 Sur papier en-tête de la compagnie Axel Busck |
Mon aimé
Voilà trois jours que je n’ai pu t’écrire, mon aimé, jamais ns n’avons été plus lointains qu’en ces jours de bonheur, un bonheur qui fait mal tant il est infini et prtant j’ai eu hier encore les plus effroyables angoisses.
C’était le 14 et ta dernière lettre datait du 3 !! affolée j’ai couru au bureau de Picard [Edouard Picard, mari de Jane Busck, une nièce de Mathilde] pr téléphoner à Cette. Hugo me répondit qu’il m’avait fait suivre une lettre du 6 ou tu disais que vs remontiez sur le front pr des attaques, le 7 et le 8. J’ai cru m’évanouir. Je suis rentrée à Svéa à l’état de loque, j’ai trouvé là ta lettre du 6 [lettre manquante] un peu incohérente il est vrai, mais que je ne comprends pas comme ta sœur. Tu parles d’embarquer le 8 mais il n’est pas question de front d’attaque et le 7 [lettre manquante également] au contraire a tout l’air d’être une journée de joie.
La fourragère ! Jaune et verte n’est-ce pas la medaille militaire que tes poilus doivent être heureux !
Enfin peu d’instants après j’ai reçu une depêche me disant que l’on avait de tes nouvelles depuis l’armistice. Mais mon cœur battait si fort que je croyais qu’il allait se briser. J’ai si peur de mourir subitement de toutes ces émotions avant d’avoir pu te serrer dans mes bras…. dans la victoire !!
Hier on a fait venir le médecin pour moi il n’a pas trouvé mon cœur malade, mais mon foie et m’a donné un petit traitement à suivre.
J’ai suivi tante Fanny en ville, Annie m’en ayant priée. Je t’écris du bureau pendant que ta tante écrit à son fils [Rudy] pour lui dire les démarches qu’elle fait appuyées par un colonel de leurs amis pour le faire revenir.
Dès que tu le pourras écris à ta tante avec ton cœur – parle-lui de ce que ton oncle a fait pour vous, pour m’aider à vous acheminer il ne faut pas l’oublier et cela lui fait plaisir. Elle est dans un état de desespoir navrant beaucoup plus affaissée et écrasée qu’aux premiers jours.
Je ne sais pr combien de temps je suis là encore. Suzie m’écrit qu’Émilie revient au bout du mois et amènera, si nous le voulons, une de ses amies de l’Ariège mais une fille qui n’a pas servi. J’attendrai peut être ce moment pr lui ramener les enfants.
Et maintenant ne peux-tu me dire où vs perchez ? où tu penses aller ? C’est affreux que cette attente de nouvelles qui n’arrivent jamais. Trois jours de plus pour venir de Cette. Mais tu m’es rendu plus rien n’est rien. Je bénis Dieu et j’adore et je suis prtant avec la légion de mères qui pleurent.
Je te serre sur mon cœur. Je voudrais le faire en réalité.