9-12-16
Maman cherie,
Je viens de recevoir ta lettre du 5. Je vois très bien votre vie. C’est bien
dommage que vous ne trouviez pas d’appartement. A un pt de vue purement égoïste
je ne m’en plainds pas parce que je m’attache beaucoup aux vieux murs et la
Villa de Suède est déjà remplie de chers souvenirs. Par le même courrier une
lettre de Mme Grauss [née Elisabeth Meyer]. Elle m’envoie de temps en temps quelques lignes sans fils et
affectueuses, que je reçois avec beaucoup de plaisir. Il a plu toute la journée
ce qui rend la vie très difficile aux troupes de 1ère ligne.
Nous, nous avons recommencé notre
travail quotidien. Pendant que mes poilus travaillent sous la surveillance du
genie, je fais des visites, à droite et à gauche aux abris voisins un sergent
du canon de 37, qui m’a parlé avec enthousiasme de la vie anglaise, à laquelle
il avait gouté avant la guerre, puis je suis allé voir le medecin du premier
bataillon « rapport à son poilu » et j’ai passé mon après-midi à
regarder jouer aux cartes, en me chauffant les pieds.
Je viens de diner avec G., comme
chaque soir. Toujours le même ce pauvre G.
Je suis rentré dans mon abri, où mes
sergents font leur popote. Leur lard s’est mis à bruler et nous sommes envahis
par une fumée suffocante. J’en tousse et j’en pleure.
Tu te rappelles Gauthier, le
coiffeur que l’ivresse avait endormi sur son banc à Chartèves, il vient d’être
blessé, très légerement d’ailleurs. Le malheureux s’abruttit de + en +, et noie
toujours plus son chagrin dans le vin.
A toi très tendrement
Jean