jeudi 8 décembre 2016

Front de Somme, 8 décembre 1916 – Jean à sa mère

8-12-16
            Maman cherie,

            Je reçois tes bonnes lettres des 3 et 4. Pas grand-chose à te raconter puisque chaque heure ressemble à la precedente, ou en tout  cas chaque jour au précedent.
            Aujourd’hui, il fait un sale temps : froid et pluie ; mais c’est toujours facile de lutter quand on est en reserve et qu’on a des abris. Dis-toi bien une fois pour toute que j’ai tout ce qu’il me faut comme linge, provision, etc, + qu’il ne me faut. S’il me manquait q. chose, je le ferais venir d’A. [Amiens] en première ligne pour le lendemain. Hier avec G. voilà ce que nous avons mangé : potage, huitres, vin blanc, rognon, filet, pommes de terre et carottes sautées au beurre, fromage, confiture, oranges, pommes etc.
            Tu vois que c’est se faire une fausse idée du front que de croire qu’on ne peut pas y faire venir un caleçon de laine. Si on ne le fait pas venir c’est simplement parcequ’on attend la relève pour changer, pour ne pas donner aux totos une nouvelle foret vierge.

Source : Mémoire des hommes
Morts pour la France
            Encore le deuil des Warnery  ? J. Lichstenstein m’en avait parlé. [Maurice Warnery était un cousin éloigné de Jean.]
            Que Na doit être drôle. Quelle joie pour vous tous !
            Que pense le poilu des evenements ?
            Il n’en pense rien. La prise de Bucarest l’interesse beaucoup moins que savoir si on sera relevé aujourd’hui ou demain, ou si il manque un quart de pinard à la distribution. Le journal pourtant l’interesse parceque il manque de distraction. Mais pour lui tout ce qui est ecrit est « bourrage de crane », et il n’a pas souvent tord.
            Le poilu marche maintenant comme au premier jour, et il se fera tuer quand il le faudra aussi proprement, mais il ne faut pas se faire trop d’illusions : ce n’est pas par principe, par esprit de sacrifice ; ce ne sont pas les forces morales qui poussent l’immense majorité, c’est un fatalisme qui d’ailleurs ne manque pas de grandeur.
            Je vais ecrire à oncle Sven [Busck] pour le remercier.
            J’ai reçu un bon paquet de toi, plusieurs même je crois ces jours-ci : dattes, chocolat, passe-montagne, chaussons, saucisson, etc, etc. Merci, Merci.
            Bonne chance à Einar [Ekelund] en Angleterre. Je regrette ce depart pour vous tous surtout pour Hugo.
            Je signerai pour Lunel[1] toutes les procurations que tu voudras. Tu n’as qu’à me tenir au courant.
            Bonnes nouvelles du Chambon, de Paris.
Mille tendresses

Jean

[1] Il s’agit de la vente d’un bien Médard resté en indivision après la mort en 1900 de Pierre Médard, le père Jean. Les Médard étaient originaires d’Aigues Mortes. Mais une branche s’est installée à Lunel dans la première moitié du 18ème.