dimanche 28 octobre 2018

Sète, 28 octobre 1918 – Mathilde à son fils

Cette le 28/X 1918

Mon aimé

J’ai eu ce matin une lettre de toi du 22 et ce soir une toute palpitante d’intérêt du 21. Cela a mis un rayon de soleil dans ma triste vie et me voici plus forte pr continuer avec ma dure tâche. Oh si je pouvais avoir de toi une lettre tous les jours je serais moins désemparée. C’est maintenant la grande solitude dans une maison bouleversée et Alice [la vieille bonne] est toujours au lit. Le docteur n’est pas revenu mais elle se dit assez souffrante. J’espère pourtant que ce ne sera rien.

Inutile de songer à faire de grands nettoyages, on ne trouve pas de bras pour vous secourir. Irma, la brave Irma est là mais elle ne suffit pas à la tâche.

Hugo me quitte demain pour aller à Marseille. Je ne puis le suivre à cause d’Alice qu’il faut soigner et aussi parce qu’il y reste trop peu de temps. Mais j’ai de l’angoisse de demeurer seule ici… Je ne vois absolument personne.

Cependant ce matin une bien delicieuse visite m’a surprise en négligé du matin. Alice [Herrmann, la future fiancée de Jean] et sa mère sont venues me voir et me faire leurs adieux car elles partent Mercredi pour Paris. Alice un peu palie et maigrie. Elle a eu la grippe dans un hôtel à Marseille. Sa mère l’a soignée énergiquement et elle a été sauvée mais elle était prise assez sérieusement m’a dit sa mère. Chère petite Alice, elle était jolie comme je ne l’ai jamais vue avec son petit air intéressant de convalescente. Ces dames se sont beaucoup informées de toi et ont été toutes heureuses que j’ai eu de tes nouvelles.

Elles m’ont trouvée bien désemparée, je ne sais trop quelle impression je leur aurai donnée.

Gaston [Herrmann, un oncle d’Alice] est tjours très mal attendant la mort comme une délivrance. Alice paraissait toute attristée de partir pour Paris. Je n’ai pu les retenir dans l’état d’esprit où je me trouvais au milieu d’une maison désorganisée et sans bonne et je les ai laissées partir me trouvant abominablement sotte. Ta pauvre mère a tout à fait perdu le nord. L’ébranlement a été si violent que je serai longtemps à me remettre. Et puis les regrets m’accablent.

Les dames Herrmann m’ont dit que vous aviez avancé ces derniers jours, car je n’ai plus suivi moi le communiqué que de loin. Elles savaient très bien dans quelle région tu te trouves.

Je suis si satisfaite que ton travail t’intéresse et te captive. Si heureuse que tu aies pu embrasser un ami, reprendre contact avec l’autre.

Ce soir les nouvelles arrivent excellentes. L’Allemagne ne peut tarder à capituler. Ce serait l’immensité de la joie si les tristesses ne nous submergeaient.

Je t’écrirai plus longuement demain, il se fait tard et je suis fatiguée. Je voudrais te faire lire l’admirable lettre que m’a écrite tante Fanny.

Je suis tout à fait abandonnée de ta tante Anna. Je ne l’ai plus vue depuis Mercredi dernier. Lucien [Benoît] a été ici cette après-midi mais il n’est pas venu me voir.

Bons infinis baisers de ta maman qui ne cesse d’être avec toi. Meilleures nouvelles de Suzie par le bureau mais elle n’écrit pas, même pas à son mari dont c’était la fête aujourd’hui.

Ta maman