Ma chère Maman
Aujourd’hui bonne journée. Hier je me suis rendu compte que le régiment de Conord était tout près du mien. A tout hasard je lui ai envoyé un message téléphonique. Ce matin j’avais la joie de l’avoir au bout du fil. Puis quand j’ai vu où il était, je suis allé l’embrasser. Nous nous sommes vu quelque temps, très peu de temps, car quitter mon central pour sortir du secteur de la D.I., c’était presque un abandon de poste.
Transcription par Françoise Conord-Babut d'une lettre de son père Paul Conord. Suzanne Teeuwissen, petite-fille de Conord, m'a communiqué ce document et je l'en remercie vivement. |
Paul
Conord (1896-1985)
Paul
Conord était un ami de Jean. Ils se connaissaient depuis
longtemps, Conord ayant été membre de la Fédé lycéenne à
Montauban pendant que Jean y commençait ses études de théologie
en 1911 et 1912. Dans sa
correspondance de 1915 et 1916, Jean signale
avoir reçu plusieurs lettres de lui (malheureusement non
conservées).
Après
la guerre, Paul Conord épousera Jeanne Bohin, dont
la présence est plusieurs fois
mentionnée parmi
les jeunes membres de la Fédé qui se regroupent autour
de Léo Viguier et Suzanne de Diétrich pendant la guerre.
Consacré
pasteur en 1921, Paul Conord rédigera plusieurs ouvrages et deviendra secrétaire général de l'Eglise réformée de France. (Voir les notices qui lui sont consacrées sur le site
du Musée virtuel du protestantisme,
et sur celui de sa petite-fille, Suzanne Teeuwissen).
Pendant
la 2ème
guerre, Claire Conord, fille de Paul, et Marie Médard, fille de
Jean, étaient à leur tour camarades à la Fédé. Quand Marie a
été arrêtée pour ses activités de résistance, Paul Conord
sera (avec Pierre Maury) parmi les premiers à participer aux
recherches lancées pour la retrouver. Après-guerre, à son
retour de déportation, Marie sera équipière CIMADE sous la
direction du pasteur Ray Teeuwissen1, futur époux de Claire
Conord.
Et,
pour boucler la boucle, c’est Suzanne Teeuwissen-Béha, fille de
Ray et de Claire, qui m’a communiqué la lettre de son
grand-père Paul Conord dont l’extrait est reproduit ci-dessus. 1 Une exposition est consacrée à l'action du pasteur Walter Teeuwissen (père du pasteur Ray Teeuwissen) envoyé du YMCA dans le camp de prisonniers austro-hongrois de Nikolsk en Sibérie en 1919-1920. (Du 9 novembre au 15 décembre 2018 à l'Institut hongrois, 92 rue Bonaparte à Paris. Du lundi au samedi, 9h-19h. Entrée gratuite.) |
Je mène une vie amusante ces jours-ci. Le colonel a été forcé de s’installer à une bonne distance de ses bataillons. Il a fallu créer entre eux et lui un central intermédiaire de liaison, de renseignements et relai de coureur, une espèce de P.C. avancé.
C’est devenu mon royaume. Je suis là avec quelques signaleurs, observateurs, telephonistes et coureurs, avec qui je fais très bon ménage.
Paix royale. Les boches ne sont pas trop méchants. Beaucoup de travail, mais un travail très intéressant et utile.
Des compagnes dont on se passerait ce sont les mouches, inombrables, des mouches d’automne collantes et maladroites.
Je ne sais rien des Leenhardt depuis longtemps. Ici je vis un peu dans une tour d’ivoire. Ma tour d’ivoire c’est une cave de brique c’est plus dur pour les obus. De temps en temps un petit camarade en tournée vient me faire une visite et dejeune avec moi. Mais la grande distraction ce sont mes compagnons de cave. Ils sont en confiance et me racontent leurs petites histoires. Il y avait longtemps que j’avais perdu le contact. Ça m’a fait plaisir de le retrouver.
Je reçois tes lettres regulièrement. J’espère que pour oncle Axel ce n’est pas grave et que tu n’as pas trop de mal.