mardi 9 octobre 2018

9 octobre 1918 – Jean à sa mère

9/10/18

Ma chère Maman

Je ne veux pas te faire languir : je t’écris en route avant même d’avoir rejoint le régiment. Il n’est pas encore engagé, mais il suit le mouvement en avant, et ça va si vite je n’arrive pas à le rattraper.

J’ai quitté Paris ce matin. Voyage rapide. A la gare d’A. [Amiens1] j’ai trouvé un camarade du Parc qui s’était fait prendre en auto. Ça m’a beaucoup avancé. Mais quand je suis arrivé ici le regiment en était parti. J’ai été aimablement invité par le Major de cantonnement qui m’a fait diner et qui va me faire coucher.

Ici on est bien content naturellement de voir que ça continue à décoller.

Je reprend mon voyage au depart2. Conversation très cordiale avec Mr H. [Jacques Herrmann]. En le quittant je l’ai remercié de son acceuil de Vendredi. Il m’a repondu aimablement : « Tu seras toujours le bienvenu chez nous »2.

La cathécumène de papa m’a procuré une place assise. Ds mon wagon j’ai trouvé les Bruneton3 qui m’ont un peu reproché mon silence mais qui ont été charmants quand même.

A Paris bonne journée. Quand je suis arrivé chez Léo Viguier, elle m’a donné le programme de ma journée que je n’ai plus eu qu’à remplir.

Dejeuner chez Suzanne de Diétrich avec Jeanne Bohin, Albert Dartigue et Lily Kellermann. A propos de cette dernière c’est bien ce que je t’avais dit. La moindre chose qu’on puisse dire c’est que l’attitude de son fiancé a été bizare.

Reunion intime rue de Vaugirard avec quelques anciens de la Fédération, le souvenir de [Charles] Grauss et d’Alex [Alexandre] de Faye remplissait nos cœurs.

Séance chez le photographe. Je suis tombé chez un photographe un peu cher, mais tant pis. J’espère que ce sera bon.

Mme Grauss vit chez Léo Viguier avec sa sœur et sa fille. Je lui ai consacré la fin de la journée. Ns avons diné ensemble. Elle est sereine et même souriante. Sa fille [Ghislaine Grauss] est tout le portrait de son père, c’est à en pleurer à certains moments. Léo Viguier est assez ébranlée par ces deux épreuves. Je crains un peu pour sa santée.

Coucher à l’hotel.

Sois calme et confiante maman chérie, la tache presente n’est pas dure.

Tendrement à toi
Jean
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1 Avant le départ de Jean en permission, son régiment était cantonné à Arvillers, à 39 km au sud-est d’Amiens.
2 Donc, en l'occurrence, à Montpellier, où, venant de Sète, Jean devait faire halte ou changer de train pour regagner Paris, et de là son régiment. Les Herrmann, futurs beaux-parents de Jean, s'y étaient fixés quelque temps auparavant, après avoir été pendant une vingtaine d'années membres de la paroisse protestante de Sète, ce pourquoi ils connaissaient Jean depuis sa plus tendre enfance.
3 Cousins éloignés (côté Médard) que Jean avait rencontrés à plusieurs reprises quand il était au dépôt en Bretagne à l’automne 1915 pendant sa convalescence après sa blessure au poumon.