Ma chère Maman
Je t’envoie généralement des cartes impersonnelles car il parait qu’elles ont la priorité à la poste. C’est un moyen qui ne satisfait pas beaucoup la curiosité, mais qui calme l’inquiétude.
Nous avons avancé de quelques kilomètres avant-hier. Le 132 a même pris très largement ses objectifs. La progression est lente parceque les lignes boches sont farcies de mitrailleuses, mais notre superiorité sur eux en artillerie, aviation, etc etc tellement écrasante que la vie n’est pas dure. Le régiment est en reserve et occupe les anciennes lignes allemandes de 1915.
Source : collections BDIC Période où le 132 était dans la zone de Roye. |
Le régiment a pris pour le moment deux villages, 30 mitrailleuses et une cinquantaine de prisonniers.
Nous sommes en reserve. Les poilus commencent à être fatigués par le manque de sommeil et de nourriture, par le mouvement aussi, mais le moral est épatant. Nos pertes ne sont pas énormes ; mon service pourtant a été un peu géné : un obus à Yperite est tombé sur notre central téléphonique. L’effet de ce gaz est étrange. Les hommes atteints continuent leur travail et ne sentent rien pendant plusieurs heures ; mais bientôt, malaises, vomissements, brulures. Tous les habitants du central en question ont fini par être evacués. Ce n’est pas grave, mais j’ai eu de la peine à assurer le service.
Source : collections BDIC |
C’est amusant : à mesure qu’on avance on deroule un fil derrière soi, qui nous rattache à l’arrière, c’est comme une circulation sanguine qui reprendrait dans les parties mortes d’un corps vivant.
On installe l’antenne aussi, la T.P.S., tout le bazar. J’ai des équipes merveilleuses. Les colombophiles du 3e baton ont rencontré un pigeonnier boche et ils ont fait prisonniers des pigeons voyageurs boches, ce qui est une bonne prise.
J’ai n’ai pas vu les Leenhardt depuis longtemps. Hier soir j’ai rencontré [Frank] Suan et ns avons bavardé un bon moment.
Je reçois très régulièrement tes lettres. Mon vœux serait de vous rejoindre encore à La Salvetat et d’y retrouver en même temps que vous Jean [Lichtenstein] ; mais la guerre nous apprend à vivre au jour le jour, à être surtout au moment présent.
Ça ne m’empêche pas, maman chérie, d’être auprès de vous de toute mon affection.