mardi 10 juillet 2018

Einville, 10 juillet 1918 – Jean à sa sœur Suzanne Ekelund

10/7/18

Ma chérie

Je viens de recevoir ta lettre du 6. Merci de ce que tu viens de faire pour moi. Ça represente un gros effort, du tact, et du courage, et des émotions. Je t’assure que je m’en rend bien compte, que je t’en suis très reconnaissant ; et je te demande pardon de mon impatience de ces derniers jours.

Ainsi tu étais bonne psychologue et les choses se sont bien passées comme tu le pensais. C’est un grand soulagement de voir cette demande faite, et un grand pas d’être éclairés sur les sentiments des parents.

Jacques Herrmann (1868-1926)
Futur beau-père de Jean
Marguerite Germain
ép. Herrmann (1872-1951)
Future belle-mère de Jean

Si j’ai bien compris ils seront complètement et sincèrement neutres, laisseront leur fille absolument libre et se borneront à lui exposer leur manière de voir. Ils ne formulent en somme qu’une objection serieuse, la situation materielle.

Ils croient que je suis plus amoureux des qualités et des gouts de leur fille que d’elle-même, mais je pense qu’ils ne refuseraient pas de croire le contraire.

En somme tout ça est très clair et pas décourageant.

Je t’avouerai pourtant que je suis un peu deçu. Mon imagination avait beaucoup marché depuis ma dernière permission, et, sans beaucoup reflechir, je me figurais que ça avancerait plus les choses. Tout ce que je revais était d’ailleurs parfaitement pueril. Attendre que la guerre soit finie, c’est mon avis et mon désir, mais si Mme H trouvait étrange que je fasse cette demarche avant d’avoir passé mes examens et d’avoir une situation, ce serait le point de vue mondain d’avant la guerre. Il me semble qu’on a le droit de se fiancer, sinon de se marier avant d’avoir arrangé sa vie comme un papier à musique. On peut bien avoir un peu foi dans la vie. Enfin pour ça il ne faut pas s’en faire ; laissons toujours finir la guerre.

Maintenant à ton avis quelle pourra et quelle devra être mon attitude vis-à-vis d’ A. [Alice]. Trouvera-t-on naturel que je la voie plus souvent, malgrés les potins de Montpellier ? M’a-t-on trouvé trop réservé ? etc, etc.

J’aurais encore mille questions à te poser, mais je n’ai pas le temps aujourd’hui. Nous reparlerons de tout ça.

Dis à Maman que mon service m’interesse et me prends.

Encore infiniment Merci.

Tendresses
Jean