Nous ne rencontrons aucune troupe, pas une batterie d’artillerie, pas trace d’activité militaire ou de convoi. Nous croisons seulement des groupes lamentables de civils qui s’enfuient, portant des ballots ou poussant des voitures d’enfants. Montdidier n’est pas encore prise. La buraliste, avant de partir nous distribue le tabac qui lui reste. Nous avons encore le temps de nous installer à l’emplacement prévu.
Le Gall étant en permission, le colonel [Adrien Perret] me charge de le remplacer1. Pour le moment il voudrait savoir ce qu’est devenu son 1er bataillon, qui n’est plus sous ses ordres, mais dont le sort ne lui est naturellement pas indifférent. Il doit être engagé dans la région de Becquigny à cinq ou six kilomètres au nord. Il me demande d’essayer d’atteindre cette unité et de lui rapporter des nouvelles. C’est ce que je fais. Le pays est absolument désert, évacué par les civils, pas encore envahi par les Allemands, ni occupé par les Français.
Source : Magazine britannique "Punch" |
En avant de Becquigny je retrouve le 1er bataillon et je passe un moment avec le commandant Doutaud, qui devait être tué le lendemain. Quelques soldats anglais en retraite se sont joints au 132. C’est la première et la seule fois que je vois côte à côte le « poilu » et le « Tommy » comme sur les cartes postales. Ils sont installés dans un chemin creux et ne tardent pas à faire le coup de feu sur les premiers Allemands, qui commencent à se montrer.
Le soir arrive. Il ne m’est plus possible de rejoindre Etelfay, la route étant coupée par l’avance allemande. D’ailleurs le Colonel [Adrien Perret] a dû se replier. En obliquant vers le sud-ouest je tombe sur le 49ème B.C. et je puis embrasser Guy Leenhardt, qui devait être fait prisonnier le lendemain.
Ce soir-là, constatant la faiblesse de nos forces, sans liaison, éparpillées sur un front beaucoup trop étendu et sans soutien d’artillerie, je suis extrêmement inquiet. J’imagine déjà les Allemands marchant sur Paris ou coupant l’armée française de l’armée anglaise et atteignant la mer.
Assez tard dans la nuit je retrouve enfin mon Colonel [Adrien Perret] à Fontaine-sous-Montdidier. Il a mis une sentinelle devant la cave du château pour éviter le pillage et il fait distribuer régulièrement une bouteille de bon vin à chaque soldat du 2ème bataillon, qui doit défendre le village. Nos troupes, débordées ont en effet reçu l’ordre de se replier à l’ouest de Montdidier.
Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )JMO de la 56ème D.I. – 27 mars 1918 |