mardi 27 mars 2018

Zone de Montdidier, 27 mars 1918

Nous ne rencontrons aucune troupe, pas une batterie d’artillerie, pas trace d’activité militaire ou de convoi. Nous croisons seulement des groupes lamentables de civils qui s’enfuient, portant des ballots ou poussant des voitures d’enfants. Montdidier n’est pas encore prise. La buraliste, avant de partir nous distribue le tabac qui lui reste. Nous avons encore le temps de nous installer à l’emplacement prévu.

Le Gall étant en permission, le colonel [Adrien Perret] me charge de le remplacer1. Pour le moment il voudrait savoir ce qu’est devenu son 1er bataillon, qui n’est plus sous ses ordres, mais dont le sort ne lui est naturellement pas indifférent. Il doit être engagé dans la région de Becquigny à cinq ou six kilomètres au nord. Il me demande d’essayer d’atteindre cette unité et de lui rapporter des nouvelles. C’est ce que je fais. Le pays est absolument désert, évacué par les civils, pas encore envahi par les Allemands, ni occupé par les Français.

Source : Magazine britannique "Punch"

En avant de Becquigny je retrouve le 1er bataillon et je passe un moment avec le commandant Doutaud, qui devait être tué le lendemain. Quelques soldats anglais en retraite se sont joints au 132. C’est la première et la seule fois que je vois côte à côte le « poilu » et le « Tommy » comme sur les cartes postales. Ils sont installés dans un chemin creux et ne tardent pas à faire le coup de feu sur les premiers Allemands, qui commencent à se montrer.

Le soir arrive. Il ne m’est plus possible de rejoindre Etelfay, la route étant coupée par l’avance allemande. D’ailleurs le Colonel [Adrien Perret] a dû se replier. En obliquant vers le sud-ouest je tombe sur le 49ème B.C. et je puis embrasser Guy Leenhardt, qui devait être fait prisonnier le lendemain.

JMO de la 56ème division d'infanterie
- Encerclé en jaune par l’auteur du blog : Becquigny, où Jean rencontre le commandant Doutaud, et la zone où combat le 49ème B.C.P.. D’après le texte de Jean, quand il rencontre en fin de journée son cousin Guy Leenhardt, les chasseurs du 49ème B.C.P. ne sont plus au nord de Becquigny comme on le voit sur la carte. Comme Jean lui-même, ils se sont certainement déplacés vers le sud-ouest.
- En rouge : Etelfay, que Jean ne peut rejoindre à cause de l’avance allemande.
- En vert : Fontaine-sous-Montdidier où Jean retrouve le colonel Perret.



Ce soir-là, constatant la faiblesse de nos forces, sans liaison, éparpillées sur un front beaucoup trop étendu et sans soutien d’artillerie, je suis extrêmement inquiet. J’imagine déjà les Allemands marchant sur Paris ou coupant l’armée française de l’armée anglaise et atteignant la mer.

Assez tard dans la nuit je retrouve enfin mon Colonel [Adrien Perret] à Fontaine-sous-Montdidier. Il a mis une sentinelle devant la cave du château pour éviter le pillage et il fait distribuer régulièrement une bouteille de bon vin à chaque soldat du 2ème bataillon, qui doit défendre le village. Nos troupes, débordées ont en effet reçu l’ordre de se replier à l’ouest de Montdidier.

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie, La guerre )
JMO de la 56ème D.I. – 27 mars 1918
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1 Donc comme officier chargé des liaisons (cf. billet du 27 janvier «  Le Colonel Perret ne me renvoie pas dans la compagnie. Il veut que je me prépare à remplacer Le Gall, le téléphoniste, qui a demandé sa mutation dans l’aviation. Téléphoniste, ou plutôt officier chargé des liaisons, c'est-à-dire outre le téléphone, la T.S.F., la T.P.S., les pigeons voyageurs, les chiens de liaison, la liaison avec l’aviation par panneaux. »).