dimanche 11 mars 2018

Belfort, centre d’instruction des liaisons, 11 mars 1918 – Jean à sa mère

11/3/18

Ma chère Maman

J’ai pu réaliser le projet caressé depuis quelques jours et aller passer mon Dimanche dans la vallée1. [Frank] Suan qui devait m’accompagner a été au dernier moment retardé et empéché. Ce contre-temps m’a fait rater l’auto. J’ai du prendre le train m’appuyer quelques kilomètres à pied ce qui d’ailleurs n’était pas pour me deplaire. C’était trop tard pour aller chez les Scheurer, j’ai couché à l’hotel à Th. [Thann].

J’avais tout à fait l’impression d’être en secteur : bruit de mitrailleurs à deux kilomètres, obus tombant assez près. Le secteur est moins calme que lorsque nous y étions. La ville est toujours à peu près épargnée, sauf un malheureux accident il y a quelques jours. A l’hôtel j’ai rencontré [Maurice] Pomier [un cousin éloigné, côté Leenhart], qui y était installé. Je crois qu’il a été interloqué de me voir arriver là nuitement. Le lendemain matin j’ai retrouvé la ville toujours la même, malgré l’épreuve, sous un soleil radieux : les rues pleines de monde, de civils comme de militaires, des cris et de la lumière. On se croirait loin du front ; ce qui rappelle à la réalité, ce sont les ruines nombreuses et les sachets contre les gaz que tout le monde, grandes personnes et enfants, paysans et bourgeois, porte en bandouillère.

Source : collections BDIC

Je suis remonté en promeneur jusqu’à B. [Bischwiller-les-Thann], au passage je me suis arrêté chez le duc de Trévise [Édouard Mortier]. Il a témoigné beaucoup de joie à me voir ; c’était reciproque d’ailleurs ; c’est une nature fine, idealiste et artiste, drolement éprise de methode et de force.

Chez les Scheurer acceuil chaleureux. Je me suis fait attraper pour n’avoir pas demandé l’hospitalité même à 10 heures du soir, je me suis fait inviter pour Dimanche prochain avec [Frank] Suan – si c’est réalisable. J’ai donné des nouvelles toutes fraiches de [Albert] Léo, de ma division dont on parle avec attendrissement dans toute la vallée.

Source : collections BDIC

Leur belle-fille2 était là, une toute jeune veuve qui est en temps normal ambulancière sur le front et qui a failli être des victimes du bombardement des ambulances de Vadelaincourt. En somme c’est un milieu d’héroïsme quotidien et discret. Au retour j’ai vu encore assez longuement De Trévise, et je suis rentré par l’auto, retour beaucoup plus pratique qu’à l’aller. Il fait très beau, je reçois régulièrement tes lettres ; enfin tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si…….

Tendrement à vous tous
Jean
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1 La vallée de la Thur, où Jean a passé plusieurs mois à l’état-major de la 56ème D.I., entre août 1917 et janvier 1918. Il s’y est fait beaucoup d’amis.
2 Geneviève Favre, veuve de Daniel Scheurer (1885-1915).