jeudi 8 mars 2018

Belfort, centre d’instruction des liaisons, 8 mars 1918 – Jean à sa mère

8/3/18

Ma chère Maman

T’ai-je fait le programme de mes journées ? Le matin lever à 7 heures – cours de 8 à 11. Dejeuner – Cours de 2 à 4.

Ces cours ont trait à la liaison en general et au téléphone en particulier. Je me suis remis à l’électricité, j’ai même poussé le zèle jusqu’à acheter une physique. C’est d’ailleurs interessant, j’avoue que je regrette de n’en avoir pas fait plus serieusement quand j’étais gosse… mais j’ai des regrets semblables pour tout ce que j’effleure maintenant, science ou art.

A partir de 4 heures on est generalement libre. Le plus souvent je rentre dans ma chambre pour y lire ou y écrire. Hier grande diversion et grande joie, en sortant des cours du matin je rencontre Alexandre de Faye qui sortait de la gare, rentrant de permission, et traversait la ville. Il y restait quelques heures ; nous avons été à la recherche de [Frank] Suan et avons vu passer un bon moment ensemble après dejeuner. J’ai rarement vu un type aussi decidé, courageux et enthousiaste.

Après diner je vais souvent raccompagner [Frank] Suan chez lui, et les souvenirs de faculté ou de camp de vacances tiennent une grande place dans ces bavardages.

Avant-hier nous avons formé un projet grandiose : profiter de la permission du Dimanche pour aller voir les Scheurer. J’espère que ça pourra coller, mais c’est subordonné à des conditions multiples : permissions, moyens de transport, etc.

Une des superiorités de ce cour sur le précedent c’est qu’on y reçoit des lettres. Il est vrai que c’est pour apprendre que vous êtes tous mal en point. J’espère que tout ça se tasse.

[Frank] Suan m’a fait lire un petit livre de vers et je suis tout penetré de cette lecture ces jours-ci. C’est de [Jean] Fontaine-Vive, un etudiant du groupe de Lyon, d’origine catholique que j’avais connu à Domino, et qui a été tué il y a quelques mois. Je le connaissais au point qu’il m’avait annoncé ses fiançailles avant qu’elles soient officielles, et c’est ce livre pourtant qui me l’a revélé. Il y a là dedans une flamme extraordinaire. On peut être fier d’appartenir à la Fédération qui crée des personnalités pareilles.

Je t’embrasse tendrement.
Jean