samedi 20 janvier 2018

Wesserling, 20 janvier 1918 – Jean à sa mère

20/1/18
            Maman chérie 

            Un veritable printemps par anticipation. Il fait presque trop chaud. Il n’y a plus trace de neige que sur quelques sommets.
            Merci de tes bonnes lettres des 15 et 16. Il ne faut pas s’en faire pour cette conference de prêtres. C’est un âne et voilà tout. Il est vrai que des types comme ça font beaucoup de mal et font desesperer de l’humanité. Il serait interessant d’écrire à son évêque, le cardinal [Anatole] de Cabrières en lui représentant tout ce que ces âneries peuvent avoir de dangereux, comme ça peut dégouter de la guerre des gens simples qui se battent pour un tout autre idéal que l’idéal catholique. Il blamerait peut être son prêtre ; s’il ne le blame pas, c’est bon à savoir.
            Hier j’ai eu la joie de revoir Alexandre de Faye toujours aussi en train, toujours « follement heureux », très aimé semble-t-il de tous ceux qui l’entourent. Nous avons passé un bon moment ensemble.
            Le soir nous dinions chez les Stamm. Ça a été très gai. Quelques officiers d’artillerie. Mr Stamm a joué du pianola. Nous avons fait une partie de « up down » ; nous sommes rentrés assez tard.
               Ce soir j'espère pouvoir aller faire mes adieux aux Scheurer.
Tendrement
 
Jean

 
En contrepoint de la lettre de Jean,
le carnet de Madeleine Stamm, la plus jeune fille de ses hôtes
(Transcrits en violet : les passages où les deux textes se font écho.)

Carnet de Madeleine Stamm.
Document communiqué par Olivier Le Roy, son petit-neveu.
Collection Stamm-Binder ©
JANVIER
19 SAMEDI S. Sulpice   
Je suis allée voir les petites Federling qui étaient malades et en revenant vers 3 h ¼ il y avait beaucoup de soldats qui se promenaient sur le trottoir aussi je passais sur la route quand en arrivant devant les guérites j’en vois un qui se dirige vers moi et j’entends les deux autres qui disent « Ne lui fais pas de mal ».  Je commençais à avoir peur. Et voilà qu’en passant près de moi ce soldat sort un gros revolver en le mettant tout près de la figure me dit « Tu es un amour, je te brûle ». J’ai fait juste un petit mouvement mais j’ai eu joliment peur oh là là… Encore plus rétrospectivement… c’est effrayant quand on y pense. Comme il était un peu ivre c’est si vite fait de presser sur la gâchette quand le revolver est chargé. Il est absolument stupide ce soldat. Je suis furieuse contre le 109e. J’ai tout de suite pensé à ces deux jeunes filles l’une de Kruth [?] l’autre de Willer qui ont été tuées comme ça par un homme ivre vraiment ce n’est pas une plaisanterie à faire.
Nous avons eu à diner l’artillerie et l’I.D. après diner nous avons joué à la pièce c’était très amusant. Il n’y avait qu’un regret celui de penser que le départ se rapproche tant. Quel dommage…
Le petit Blanchet et Recopé ont été plus drôles que jamais. Nous étions le petit Blanchet, Van de Wall, moi et Recopé qui étions le camp des as et qui avons battu : Gresson, Médard, Yvonne et Chargrasse. J’ai fait un pari avec Recopé d’un kilo de sucre pour savoir s’il y avait oui ou non dans un plat et j’ai gagné. J’en suis ravie pour l’honneur parce que je suis sûre qu’il ne pourra pas trouver de sucre.