samedi 13 janvier 2018

Wesserling, 13 janvier 1918 – Jean à sa mère

14/1/18
[Il s’agit d’une erreur de date, la lettre ayant visiblement été écrite le dimanche, qui tombait le 13 janvier.] 

            Maman chérie 

            La periode actuelle est pour moi une des plus agreables depuis le debut de la guerre.
            D’abord la perspective de rentrer bientôt au 132me. Le colonel Maurel a décidement disparu de la circulation – pour la grande satisfaction de tous, on peut bien le dire. Son remplacant est designé ; il n’est pas encore arrivé.
            Pour aussi agreable que puisse être la vie ici après un pareil changement, je demanderai au colonel Biesse[1] – c’est le nom du nouveau titulaire – de reprendre mon ancienne affectation, ce qu’il ne peut pas me refuser – ces refus là c’était bon pour le colonel Maurel.
            Ne te fache pas de cette demarche. Elle est normale, étant donné qu’il n’y a pas de travail pour 4 ici, que j’y suis parfaitement inutile. Elle s’accorde d’ailleurs très bien avec mon petit egoïsme : un peu moins de bien être – ce bien être me pèse plus qu’il ne me plait – pas plus de peril. En effet en cas de coup dur il y a des chances pour que je reprenne mes fonctions d’officier de liaison et il vaut mieux dans ce cas être sous les ordres de n’importe qui plutôt que sous ceux de mon ancien patron.
            Cette perspective de reprendre ma place normale m’enlève tout scrupule d’être ici et de n’y rien faire. Quand le 132e était à K. [Kruth] j’allais le voir presque tous les jours. Maintenant c’est surtout la présence de Guy [Leenhardt] qui met un peu de couleur dans ma vie. C’est vraiment un chic garçon. Avant-hier soir nous avons diné ensemble en tête à tête.

En contrepoint de la lettre de Jean,
le carnet de Madeleine Stamm, la plus jeune fille de ses hôtes
(Transcrits en violet : les passages où les deux textes se font écho.)
 
Suite de la lettre de Jean
 
Hier matin nous devions déjeuner ensemble chez les Stamm, au dernier moment il a été obligé de décliner cette invitation étant de garde.
J’ai dû faire le culte ce matin, J. Monnier ayant fait faux bond. Bien entendu, n’étant pas prévenu à l’avance j’ai supprimé le sermon. Ns déjeunons chez les Stamm, le Cpte de Ronseray, le Ctne Recopé de Tilly et moi. Les Stamm ont été charmants, Mr seul est protestant, mais tous sont excellents – Madame, un fils mobilisé et deux jeunes filles qui sont là.
Après le déjeuner le vétérinaire est venu recoudre un petit chien qui avait été décousu par un chevreuil. C’était une forte émotion pour la propriétaire.
Puis Monsieur Stamm s’est mis au pianola et nous avons passé une délicieuse après-midi à écouter du Beethoven, des Liszt, du Brahms, du Grieg, etc.
Le soir 3 capitaines dinaient avec nous ; ce fut très gai. D’ailleurs tous ces jours-ci nous sommes très gais comme des prisonniers libérés.
Au revoir Maman chérie,
Tendrement à toi 
Jean 
 
Carnet de Madeleine Stamm
13 janvier1918
 
Crac s’est fait blesser ce matin par le chevreuil il était entré dans son parc et le chevreuil pour se débarrasser du chien lui a donné un bon coup de sabot. Il a une entaille de 10 [cm] au moins heureusement pas profonde, on a tout de suite appelé le vétérinaire de [mot illisible] qui lui a mis 2 épingles. Il l’a très bien soigné.
Nous avons eu à déjeuner Ronseray, Recopé et Médard. On avait aussi invité le petit Leenhardt et Pomier qui n’ont malheureusement pas pu venir.
     Après déjeuner on a recousu Crac et ensuite Papa a joué du pianola jusque vers 4 hres. Ils avaient l’air absolument ravis ils ne voulaient plus s’en aller, que c’est donc dommage qu’ils s’en aillent j’en suis désespérée.
Van de Wall et Chargrasse sont venus, eux aussi s’en vont c’est désespérant. Il part le 19 il se [mot illisible] malheureusement. 
 
       Mes très vifs remerciements à Olivier Le Roy, petit-neveu de Madeleine Stamm, qui m'a communiqué de
nombreux documents sur sa famille, dont les passages des carnets de Madeleine correspondants aux lettres de
Jean, et des photos.


 
Source : Wesserling, mémoires familiales Stamm-Binder,
site richement documenté d'Olivier Le Roy, arrière-petit-fils de Léon et Marie-Louise Stamm,
petit-fils d'Yvonne Stamm (épouse Binder) et petit-neveu de Madeleine.
(N.B. - La photo ci-dessus de Madeleine a été recadrée. Photo originale ici.)




[1] Jean écrit « Biès », mais l’orthographe correcte est Biesse.