dimanche 11 février 2018

Arpenans, 11 février 1918 – Jean à sa mère

11/2/18

Maman chérie

Je crois que tu aurais des raisons de te plaindre de moi. Voilà plusieurs jours que je ne t’ai pas donné signe de vie. Ce n’est pourtant pas le moment de s’en faire à mon egard. Je crois n’avoir jamais été aussi heureux que ces jours-ci depuis longtemps. Tout devient un plaisir, même l’exercice, même les corvées et cela parceque nous sommes unis, que nous nous aimons. Le petit aviateur qui fait un stage parmi nous est enthousiasmé du 132e ; et lui-même ne contribue pas peu à mettre de la joie et de la gaitée dans notre petit cercle ; c’est un garçon délicieux. Quand il nous quittera pour rejoindre son escadrille ce sera une vraie peine pour nous tous.

Hier matin je suis allé entendre [Pierre] Péchenart à la messe. La veille il m’avait demandé de ne pas venir, craignant de froisser mes convictions parcequ’il prechait sur la sainte Vierge.

Je lui ai repondu qu’il ne me froisserait pas et que je l’ecouterai toujours serieusement et respectueusement. Evidemment nous sommes assez loin l’un de l’autre au point de vue dogmatique, mais très près autrement. Nous ne discutons pas ; ce serait inutile. C’est aussi un excellent camarade, debordant de vie et de gaité, sachant admirablement parler aux hommes et très populaire dans le regiment.

L’après-midi nous sommes allés à V. [Villersexel] le village où j’avais habité deux jours avant de quitter l’Infanterie. La musique du 132 y jouait. Un beau soleil, de la cordialité, des flots d’harmonie, ce fut une journée de fête. Le soir rentrant en voiture ensemble, au crepuscule, ns n’avons pas arrêté de chanter tout le long de la route.

Source : collections BDIC
(N.B. - La photo n'a pas été prise à Villersexel)

Aujourd’hui l’exercice a repris mais nous nous quittons peu et à table nous nous retrouvons heureux et bruyants, surtout il faut bien le dire quand le colonel [Adrien Perret] n’est pas là. Ce matin conversation très sérieuse sur la pureté. J’ai été étonné de voir combien elle avait d’admirateurs et même de champions parmi nous. Péchenart la défendait avec verve et l’aviateur avec simplicité.

Au revoir, Maman chérie, pardonne mon long silence.

Tendrement à toi
Jean