25/3/1917
Maman cherie
Je ne t’ai pas dit grand’chose
depuis ma rentrée de permission. Notre genre de vie laisse peu de temps pour la
correspondance. Nous marchons, nous marchons toujours. Nous allons, nous
venons, nous revenons, nous montons, nous descendons.
Mercredi matin [le 21 mars, donc],
je suis arrivé à Paris après un voyage assis en 1re. Très
confortable. On cherche à dégouter les voyageurs des voyages en supprimant des
trains, mais sur le P.L.M. les trains conservés restent assez commodes.
En arrivant, j’ai bondi à la Fac, où
j’ai trouvé [Daniel] Loux au milieu de ses grands examens. Henri Monnier était
là aussi. Congratulations, compliments… car ce brave type est toujours aussi
desesperement congratulateur. Avec Loux, nous sommes allés gare de l’Est, où
l’on a pas pu me donner ma destination… Je ne pourrais savoir q. chose qu’à la
gare régulatrice du Bourget.
Nous sommes allés dejeuner chez Mlle
[Léo] Viguier. Dejeuner très gai naturellement. Cocoï [Léon Maury] a fait
en partie les frais de la conversation. Il veut absolument un foyer du soldat
et Mlle Viguier ne veut pas le lui donner.
Après dejeuner, je suis allé au
Bourget où l’on m’a dit de revenir à 9 heures. Je suis retourné à Paris passé
un moment rue de Venise puis à la Fac. où j’ai dîné. Loux m’a fait toujours
bonne impression. Il a bonne mine malgré le travail assez intense de la
préparation d’examen.
A 9 heures j’étais au Bourget, à 2
heures du matin seulement j’en repartais. J’y ai trouvé des officiers qui
devaient rejoindre leurs regiments à Guiscard, Noyon, etc. On parlait beaucoup
de l’avance, avec sagesse et enthousiasme. Il y avait là aussi un aumonier
protestant d’une division de territoriaux qui allait pour la 1ère
fois au front et était bien bleu malgré ses cheveux blancs. Pasteur de
Normandie… pas très intéressant.
J’ai retrouvé mon regiment dans la
region où je l’avais quitté.
Encore quelques vestiges de la neige
des derniers jours. Forêts splendides. Rien de changé au bataillon. Le jour de
mon arrivée je me suis contenté de dormir.
Le lendemain on est reparti. Longue
étape fatigante sous un beau soleil d’hiver… car ici c’est encore l’hiver.
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Hier nouvelle étape. Nous sommes
arrivés assez près des lignes dans un gros village [Braisne, dans l’Aisne] qui
possède encore une forte population civile quoiqu’il soit bombardé assez
fréquemment. Ça m’a fait de la peine de voir des
gosses se promener dans des rues souvent abimées. Il y a des victimes parfois…
Aujourd’hui nous sommes arrivés ds un village voisin [Vauxtin] très tranquille
quoique pas très loin du front. Nous y sommes installés à peu près. Nous sommes
là pour des travaux. Combien de temps ça durera-t-il ? Nous n’en savons
rien. Il fait une temperature tout à fait agréable aujourd’hui, et un soleil
radieux. Je crois que les journées les plus sombres de l’hiver sont passées, et
que c’est le printemps. Il faut lui faire confiance.
Tout ce que l’on apprend ces
temps-ci est plutôt fait pour encourager. En tout cas notre cause se dessine de
+ en +, comme étant digne qu’on se batte pour elle et cela doit suffire.
Toujours très tendrement à vous
tous.
Jean