26-11-16
Maman cherie,
Tu te plainds avec juste raison du
laconisme de mes lettres.
Pendant la dernière periode de
tranchée qui a été en somme assez agitée pour nous – pour notre Cie
seulement d’ailleurs, le reste du regiment a été très peu eprouvé – donc
pendant cette periode il m’était difficile de t’écrire autre chose que des lambeaux
de phrase. Ces journées beaucoup moins dures que certaines autres, ont été très
tristes. Une boue inommable, comme on ne peut en voir de pareille que ds des
tranchées d’argile, comme les nôtres ; du froid aussi ; et surtout la
mort et les souffrances des premiers « classe 17 », qu’on nous avait
donné. Mes souffrances à moi ont été uniquement morales. J’avais un abri où
j’étais relativement protégé des obus, de la pluie, et du froid, mais ce
privilège me pesait vraiment pendant que mes pauvres gars gelaient et
mourraient.
D’ailleurs nos pertes n’ont pas été
comparables à celles des periodes de combat.
Ensuite 4 jours de
baraquement ; c’est assez pour se reposer, pas assez pour se desabruttir.
Tous les officiers du bataillon partageaient la même baraque. Ce fut très gai
par moment, trop bruyant parfois.
Il était vraiment + difficile encore de t’ecrire de là
que des tranchées.
Le commandant [Rivals] preside toujours notre petit cercle avec
entrain, bonté, simplicité. Le bataillon est très « famille » et très
recherché à cause de cela par les officiers nouveaux venus. Il faut reconnaître
qu’il a beaucoup gagné à ce point de vue depuis le depart du capitaine Baudin.
Pas de nouvelles de ce dernier depuis longtemps. Nous avons un très chic
colonel [Théron] aussi. Tu vois que je suis très bien partagé, et pourtant je souffre de
+ en + de ce que notre role d’officier à d’anormal. Bien souvent il consiste à
charger nos hommes de fardeaux que nous ne touchons pas du petit doigt. Comme
ils sont plus malheureux que nous !
J’ai reçu là bas un nouveau paquet de lainage
(Rassurel, passe-montagne, etc) et des friandises de tante Fanny).
Maintenant nous sommes de nouveau en ligne, mais en
reserve, bien à l’arrière, très peu marmités, pouvant circuler le jour sans
être vus des boches et pouvant nous installer un peu et lutter contre le froid.
Malheureusement, je ne crois pas que cela dure longtemps.
En route pour remonter j’ai reçu une lettre de
[Albert] Mercier, m’annonçant que ses fiançailles sont rompues. Il a l’air horriblement
triste, et je le comprends. Sa fiancée n’a pas eu le courage de devenir femme
de pasteur.
Je reçois de nouveau très regulièrement tes lettres.
Bien heureux pour toi de ce revoir avec oncle Geo [Georges Benoît].
Je vous souhaite beaucoup de trouver une maison. C’est
peut-être là que je vous retrouverai, car ma permission me parait devoir être
maintenant de + en + lointaine.
Reçois ma grande tendresse.
Jean