Nous y recevons en
renfort la classe 17 dont les débuts sont durs dans ces tranchées inorganisées,
sans abris et passablement bombardées. La boue, dans laquelle nous pataugeons
pendant le jour, gèle la nuit. Quelques-uns de ces pauvres gosses se font tuer
à peine arrivés. La nuit ils s’endorment à leur poste de garde. Avec Replonge,
devenu sergent, sur qui je puis compter, nous faisons sans cesse des rondes
pour les réveiller et pour assurer nous-mêmes la surveillance.
Mémoires
de Jean Médard, 1970
(3ème partie : La guerre)
[1] Le carnet de Jean Médard donne les chiffres précis : en quatre jours, entre le 18 et le 21 juin 1916, sur les 54 hommes de sa section, 8 sont tués, 15 blessés et 1 est porté disparu. La 6ème escouade paye le plus lourd tribut avec 5 tués et 3 blessés sur un total de 14 hommes.
Paul
REPLONGE (1894-1968)
Paul
Replonge est nommément mentionné trois fois dans les mémoires de Jean Médard :
deux fois lors des combats de Verdun en juin 1916 et une fois pendant la
bataille de la Somme à l’automne suivant.
1 – Juin 1916 : Verdun
Le 16 juin 1916, à la nuit tombante, le 132ème R.I. quitte l’abri du
tunnel de Tavannes « une infecte latrine » et rejoint ses positions
à deux ou trois cents mètres du fort de Vaux qui vient d’être repris par les
Allemands. Jean Médard écrit :
« Nous
relevons un régiment de zouaves, c'est-à-dire que nous nous installons tant
bien que mal à deux ou trois dans les entonnoirs que nos prédécesseurs
occupaient. Notre compagnie est en deuxième ligne, malheureusement pour nous.
Nos premières lignes, proches des lignes allemandes, sont moins pilonnées,
les artilleurs allemands craignant de tirer trop court. Nous recevons ainsi
double ration. Et il ne s’agit pas de petits calibres. Le fort nous domine.
Aucun mouvement n’est possible de jour.
Je partage mon trou avec un de mes
caporaux, un solide Picard, Replonge et un Ardennais, Toussaint. »
Dans les jours qui suivent,
les pertes sont terribles et de nombreux hommes de la section sont tués ou
blessés autour d’eux[1].
De plus, tous souffrent cruellement de la soif. Le 20 juin, le nom de Replonge est à nouveau cité :
« Au petit jour un sergent de la huitième et trois
hommes chargés de bidons d’eau arrivent de l’arrière à notre hauteur. Pour
ravitailler leur compagnie ils sont allés jusqu’à la fontaine de Tavannes, à
la sortie nord-est du tunnel, un endroit redoutable, sans cesse pilonné. Ils
en sont revenus sains et saufs.
– Aspirant, nous allons nous installer à côté
de vous si vous le permettez. Il fait trop jour maintenant pour que nous
puissions regagner notre compagnie en première ligne.
–
Vous êtes les bienvenus, mais les bidons que vous portez représentent pour
nous un supplice de Tantale. Cette eau est pour votre compagnie, donnez-nous
pourtant un fond de quart, de quoi nous humecter le gosier.
–
Bien sûr aspirant.
Nous sommes là quelques-uns à recevoir quelques gouttes du
précieux liquide. Nos nouveaux compagnons sont à peine installés dans un trou
voisin qu’un gros obus tombe, tout proche. Des cris s’élèvent. Nous nous
précipitons, Replonge, Toussaint et moi. Les porteurs d’eau sont enterrés
sous une énorme souche que l’explosion de l’obus a soulevée et qui est
retombée sur eux. Ce n’est pas trop de tous nos efforts pour faire basculer
la souche et pour les délivrer. Ils sont indemnes, mais les bidons sont
crevés ou vidés, l’eau est perdue, cette eau que nous aurions pu boire à
longs traits. »
Jean
a conservé un carnet où il avait listé les hommes de sa section à Verdun. C’est
ce carnet qui nous apprend que Replonge (matricule 9676) appartient à la
8ème escouade. Il est de la classe 14 (donc né en 1894),
originaire de Moreuil (Somme). Il est célibataire et sa profession dans le
civil est « chauffeur mécanicien ».
2 – Automne 1916 : bataille de la Somme
C’est dans l'extrait des mémoires cité en tête d'article, où on le voit aller en compagnie de Jean réveiller les
jeunes recrues de la classe 17 qui s’endorment à leur poste, que Replonge "sur qui je puis compter", précise Jean, est
nommé pour la dernière fois. On y apprend aussi qu’il est devenu
sergent. (Sa fiche matricule indique que cette nomination date du 30 octobre
1916.)
Pourtant,
sa présence est implicite dans plusieurs lettres de fin novembre et début
décembre, puisque Jean dit qu’il partage un trou avec ses sergents. L’un d’eux est forcément Paul Replonge, dont
la présence à ses côtés est explicitement mentionnée pour cette période de la
bataille de la Somme. L’autre est sans doute Gabriel Grange, qui était déjà
sergent à Verdun (l’autre sergent de Verdun, Clément Lefèvre, le
« gouri », pour qui Jean avait beaucoup d’affection, avait été tué
le 18 juin).
Dans
ses mémoires, Jean décrit les violents combats des derniers jours de septembre 1916. Il évoque les tranchées qui « semblent avoir été creusées à travers un charnier. Ici une main sort
de terre et semble vouloir nous arrêter au passage, là nous piétinons pour
circuler dans la tranchée un corps recouvert de boue et presque complètement
enterré dans le sol ». Il parle, sans jamais les raconter, « d’heures
assez mouvementées » vécues le 1er octobre dans les ruines de
Bouchavesnes. A noter que c’est à Bouchavesnes, le 29 septembre, que Paul
Replonge a gagné sa croix de guerre (voir le texte de sa citation dans "Replonge retrouvé").
Dans ses
lettres, Jean est très bref sur les combats et s’attache surtout, dans les
semaines suivantes, une fois que le pire est passé, à rassurer sa mère en
décrivant les abris de manière idyllique : « Abrits somptueux à plusieurs mètres sous terre, avec couchettes,
paille, etc. On part de là pour aller travailler le jour ; mais mon tour
de travail n’arrive pas souvent, et je mène ma vie souterraine.
Bref nous ne demandons qu’à rester là tant que le regiment sera en ligne. On est assis sur le bord de sa couchette, on lit ou on ecrit, ou on grignotte un biscuit à la lueur de la bougie ; de temps en temps une goutte d’eau s’écrase sur le papier, filtrée par la craie. » (Lettre du 28 novembre.)
Quelques
jours plus tard (le 7 décembre), Jean décrit un moment paisible « Dans notre abri bien clos, bien eclairé, mes sergents font leur
petite cuisine du soir. Ça sent bon, il fait bon, le canon se tait. On oublie
la guerre. »
3 – Décembre 2016 : Replonge retrouvé
Jamais
Jean ne mentionne le prénom de Replonge. Mais il est sergent au 132ème
R.I., et cela permet de dénicher un message laissé par son petit-fils, Guillaume Decerf, sur Pages 14-18. Ce message donne son
prénom : Paul.
A partir de là, il est possible de tirer le fil, et de trouver la trace de Paul Replonge sur le site Les escadrilles françaises de la Grande guerre, sur Mémoires de la Somme et sur Généanet.
Les
descendants de Paul Replonge ont communiqué à Mémoires de la Somme des documents et une biographie reproduite ci-dessous, ainsi les
photos qui l'illustrent. (NB : la partie concernant l’affectation de Replonge dans l’aviation
a été résumée.)
Paul Replonge
est incorporé au 132e régiment d'infanterie à compter du 1er
septembre 1914. Il participe aux batailles des Eparges, de Verdun et de la
Somme (dans le secteur de Bouchavesnes, en septembre 1916). Il est cité à
l'ordre de la brigade le 4 novembre 1916 : "N'a pas hésité à se porter
en dehors du boyau, pour chercher une position de tir, a pu ainsi contribuer
dans une large mesure à arrêter une contre-attaque ennemie, par le tir précis
et efficace de son fusil mitrailleur le 29 septembre 1916". Il obtient
la Croix de guerre avec étoile de bronze.
Le 1er
septembre 1917, il passe dans la réserve active et est affecté au service de
l’aviation comme élève-pilote. Il passe tous les brevets le menant finalement
à celui de pilote militaire le 30 juillet 1918.
Le 16 août
1919, il épouse Fernande Quénel à Saint-Just-des-Marais (Oise). A partir de
1921, il s'installe à Amiens.
Paul Replonge a une relation extra conjugale avec Yvonne Decerf (1914-2007). De cette relation naît en 1957 un garçon, Philippe Decerf.
Paul Replonge
est décédé le 23 juin 1968 à Amiens. »
Cet encart est publié avec l’accord de Guillaume Decerf, que je remercie vivement. HF (13/12/2016) |
[1] Le carnet de Jean Médard donne les chiffres précis : en quatre jours, entre le 18 et le 21 juin 1916, sur les 54 hommes de sa section, 8 sont tués, 15 blessés et 1 est porté disparu. La 6ème escouade paye le plus lourd tribut avec 5 tués et 3 blessés sur un total de 14 hommes.